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mardi 15 avril 2025

Kings of Convenience : Norway of Life

Photo personnelle

 

Au Cabaret Sauvage, le 14 avril 2025

On aime beaucoup les Kings of Convenience ici, et depuis longtemps : 20 ans ou quasi plus précisément, soit la sortie de leur second opus Riot On An Empty Street (2004), dont le lumineux single "Misread" avait squatté quelques semaines les chaines musicales françaises. A l'époque M6 était la chaine de la musique... Autre temps, autres mœurs.

On les a beaucoup manqués, aussi. A la salle Pleyel et à la Philarminonie le plus récemment, où les deux Norvégiens les plus apaisants du monde avaient déroulé leur art tout en douceur (on imagine). Erreur réparée cette année, enfin, avec l'inattendue tournée "B-sides" des tranquilles rois du folk moderne : comprenez qu'Erlend Øye et Eirik Glambek Bøe s'offrent le luxe de venir jouer quelques-uns de leurs morceaux les moins "connus", et dans un cadre un peu plus confidentiel (1200 places au Cabaret environ, contre le double pour les deux autres). Risque mesuré bien sûr : 20 ans après leurs débuts, les deux compères possèdent en France et dans le monde une bonne base de fidèles désormais, pour qui tout titre enregistré des Kings a valeur de relique sacrée. Démarche intéressante tout de même.

Le Cabaret Sauvage donc, un lundi soir au fond de la Villette. Tout sauf une surprise : Erlend Øye était déjà passé là il y a un an, presque jour pour jour, avec sa petite bande sicilienne de La Comitiva (l'homme réside à Syracuse aujourd'hui, après un long séjour à Berlin). On était venu bien sûr, on avait vu, on avait aimé. Mais Erlend plus Eirik, c'est autre chose. Deux orfèvres, deux perfectionnistes, deux amis. Avec eux chaque note vocale et accord de guitare est méticuleusement analysée en studio puis polie re-polie et polie encore avant l'enregistrement final - toujours en live - processus un peu fou et démesuré qui peut régulièrement se compter en années, mais qu'importe parce que sortir une chanson qui ne sonnerait pas parfaitement est une insulte à l'existence. Alors ils prennent leur temps. 20 ans, quatre albums.

C'est en toute logique que le duo se présente donc d'abord seul, une simple guitare chacun derrière leur micro posé si haut (Erlend surtout, un vrai géant). Leur entrée campe déjà le phénomène KOC, et sa dialectique interne : Eirik en t-shirt rose pastel très 11ème arrondissement (et probablement en coton bio), Erlend avec son habituel uniforme de hippie américain des 60's manifestant contre la guerre du Vietnam - gros pantalon de velours marron élimé, chemise à rayures hors d'âge et informe, lunettes rouges rondes. La rigueur protestante d'un côté, l'insouciance méditerranéenne de l'autre... L'un vit toujours à Bergen et n'en bougera pas, l'autre a le monde pour maison. Deux types que beaucoup de choses opposent (cf. cet excellent documentaire), mais que l'essentiel rassemble.

Le public se tait. Ambiance religieuse, côté laïc. En intro une rareté ("Until You Understand"), extraite de leur premier EP (2000). C'est inattendu pour le coup. Le guitares sont déjà bien accordées, à l'oreille, même si Erlend se plaindra plusieurs fois auprès de l'ingé son dans la soirée. Plus haut, plus bas, plus comme ça... Quête de perfection. Le numéro des KOC est déjà bien en place, avec ses deux guitares et ses deux voix qui se mêlent puis dialoguent, se répondent... C'est fin, riche et cela fait totalement oublier qu'il n'y a que deux guitares sèches sur scène. Premier vrai ébahissement sur "Ask For Help" (dernier album) : les accords sont parfaits, les voix à la hauteur parfaite, ni trop basses ni trop fautes, on est dans une petite bulle. Ah, ah, ah ah... Il est temps d'admettre que les mélodies vocales sont un instrument, et le plus beau d'entre tous peut-être. Puis elles se taisent et les deux Norvégiens se tournent l'un vers l'autre, laissant le bois parler. L'un bat le rythme, l'autre gratte une petite mélodie, cela parait simple mais ça ne l'est pas. Sourires à la fin, applaudissements rompus.

Le processus se répète ensuite, notamment sur les presque classiques "Failure" et "Me In You", le dernier agrémenté de quelques jolis "ouh ouhhh" du public. Eirik fait une confession touchante à propos de ce dernier titre, que l'on ne répétera pas ici (l'homme est pudique). 

Et puis petit changement de style à mi-parcours : trois autre cordes arrivent (violon, violoncelle, contrebasse) et viennent apporter un peu plus de profondeur ou de piquant à certains titres : "Summer On The West Hill" notamment, une des petites cachées de leur premier LP, joué pour la première fois sous cette configuration semble-t-il. Pari réussi. La voix d'Eirik est tout à fait touchante, et l'on aimerait bien savoir ce qui a bien pu lui inspirer cette ode à l'évasion, aussi. "I feel at home here, in the middle of nowhere..." Ce sera pour une autre fois peut-être. 

Et l'ambiance monte encore d'un cran, un petit. Le violon s'anime, et mêlé au reste nous offre un tryptique coloré et rythmé, sans perdre la pureté des compositions : "Freedom And Its Owner", "Sorry Or Please", "Rocky Trail", tout cela est discrètement entraînant et réjouissant. Démonstration vocale d'Eirik sur ce dernier titre, encore, avant de laisser la place à de délicieux petits instants de violon et de guitare. Erlend s'avance un peu et pose un pied sur l'ampli, absorbé dans un solo d'acoustique tout ce qu'il y a de plus pacifique. La mécanique KOC est poussée à ses extrémités mais tient, sans heurts. Des petits cris apparaissent, l'intuition que la magie touche à sa fin aussi.

Petit geste lors du rappel, quelques instants plus tard : un fan particulièrement investi dans le chant ce soir se voit offrir un titre de son choix. Ce sera "Gold For The Price Of Silver", une autre rareté de 2001. Suit la dernière collab d'Erlend avec les Français de Papooz (bof) et une grande messe finale pour "Peacetime Resistance" : Erlend divise la salle en deux, comme chez KOC, et la droite fait "ouh ouhhhh...", et la gauche "ah ahhhh", et cela fonctionne bien et chacun s'improvise soudain vocaliste de folk scandinave, expert en guitare sèche et refrains réconciliateurs.

"We've got four eyes... so why yearn for one perspective?" chante Erlend et Eirik en finir, ensemble, et c'est un résumé parfait de la recette KOC : deux types, deux guitares, une infinité de sons et de couleurs. Union, division, réunion. Conclusion de la même chanson : "we've got colours, but they disappear when blended...".

L'avenir de l'homme est au Nord.

 


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