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dimanche 19 mai 2024

Heavenly à Paris, des anges tombés du paradis...


Photo personnelle

 

Au Point Ephémère le 18 mai 2024 (organisation : Paris Pop Fest)

La discographie d’Heavenly, groupe « phare » du label indie Sarah Records au début des années 90 (carrefour de divers groupes britanniques d’indie-pop à guitare à la notoriété très limitée mais à l’aura un peu mythique), a quasiment 30 ans aujourd’hui. Partant de là, le spectateur accouru en salle pour recevoir son shot de nostalgie indie 90’s pouvait légitimement s’interroger avant que les lumières s’allument et que le quintet monte sur la petite scène du Point Ephémère…

Car oui, question : qu’avait-on vraiment programmé ce soir, le Heavenly de 1994 ou son incarnation contemporaine et lointaine d’aujourd’hui, légèrement blasée du passé et rechignant à jouer ses anciens classiques tant attendus par une foule (trop romantique) au profit de nouveaux titres désespérément nouveaux et donc inconnus et impropres à la consommation instantanée ? On a connu ce genre de soirée, y compris très récemment (pas de noms). On peut comprendre.

Aucun risque de ce côté-là avec nos cinq amis d’Heavenly heureusement, venus à Paris avec l’intuition louable de satisfaire le public de la façon la plus simple, simpliste et émouvante possible… Tous les tubes auront été joués, un à un, avec un charme et un professionnalisme quasiment intacts trente ans après. Recette connue, reconnue : des compos pop malines, endiablées, jouant perpétuellement des changements de rythme et du magnifique duo vocal d’Amelia Fletcher et Cathy Rogers, harmonies parfaites ce soir au centre et à droite. 1994, 2024, même histoire. Et alors ? Le bonheur réside parfois là, dans la simple et naturelle adéquation de l’offre et la demande. Nul effort marketing ici.

La discographie de Heavenly, de toute manière, s’était arrêtée brutalement en 1996 à l’expiration du bienaimé label Sarah Records. Les projets ont continué pour chacun d’entre eux, mais séparément en partie et sous d’autres noms. Heavenly n’avait donc ce soir, et c’était là toute la beauté de cette proposition, rien d’autre à nous donner que du classique… "Our Love Is Heavenly", par exemple, un de leurs morceaux les plus faussement « twee » (naïf), joué en seconde place de la setlist avec une envie et un bonheur toujours là et faisant déjà chaud au cœur (insertion d’un smiley). D’autres suivront, tout aussi faussement twee : "P.U.N.K Girl" bien sûr (« N is for the new wave dreams she had back in her teens »…), "Atta Girl" (magnifique intro musicale d’une minute) ou encore le fameux "C Is The Heavenly Option", petite comptine sentimentale ultra drôle et inventive à deux voix entonnée ce soir avec l’invité Fredéric Paquet (je crois). Succès total à chaque fois, et petit délire dans la foule très fournie ce soir. Sur scène Heavenly est presque étonné de tant d’émoi… Il ne faut pas ! Le public parisien est connu pour être dur nous disent-ils, et nullement aussi twee et inconditionnellement aimant comme ce soir. Et oui.

Au programme aussi : l’étonnant « Nous ne sommes pas des anges », petite reprise de France Gall sortie en 1996 et interprétée en français intégral. « Les garçons on dirait des filles, avec leurs cheveux longs, quant à nous les filles, on dirait des garçons… » C’est positivement mignon et d’un transnationalisme charmant en ces temps de Brexit. Amelia Fletcher a abandonné la guitare pour l’occasion, et chantonne armée d’un seul tambourin. Cathy Rodgers lui répond au clavier, vêtue ce soir d’une robe tout en fleurs très simple mais férocement régressive. C’est 90’s et 60’s à la fois, c’est beau, cela pourrait presque paraitre idiot mais pas du tout. Amelia reprend finalement sa guitare mais l’esprit pop reste dans la salle et d’autres titres irrésistibles suivent. Toujours une petite mélodie entêtante, toujours un petit twist. La batterie est remarquable ce soir en passant. Tout virevolte, tout brille d’un bout à l’autre.

Et pour parachever le tout Heavenly se permet même de nous présenter de nouvelles chansons et celles-ci sont inconnues mais entêtantes aussi… (un extrait, je n’ai pas le titre hélas, ni de date de sortie). C’est inattendu. Bref Heavenly nous a enchanté ce soir, et on en est bien content. Il faudra revenir en 2057, pour la prochaine grande tournée d’Heavenly en France :)

 

 

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samedi 27 avril 2024

Live : Miki Berenyi, Light from a very live star

Photo personnelle
 

A l'Aéronef (Lille), le 25 avril 2024

47% : c’est le ratio de titres de Lush que la petite foule réunie à l’Aéronef de Lille jeudi soir aura eu le plaisir d’entendre en chair et en os, et plus spécifiquement en la personne de Miki Berenyi qu’on ne présente plus mais tout de même, au cas où : fondatrice de l’emblématique groupe anglais cité plus haut avec Emma Anderson au tournant des années 80/90, membre de la première amicale londonienne des groupes labellisés « shoegaze » (pédales d’effet au maximum, pose de rock star minimum), d’abord allégrement moqués par la presse musicale UK puis largement réhabilités une ou deux décennies plus tard (voir Ride, Slowdive). Une aventure écourtée hélas dès 1996 s’agissant de Lush, la faute à des relations pas faciles entre Miki B et Emma A, et aussi surtout au décès tragique de leur batteur et ami (Chris Acland, suicide).

Long blanc ensuite. Lush n’existe plus et Emma continue un peu son chemin en solo mais Miki lâche l’affaire elle, complètement (fatigue et lassitude de trimer pour peu de reconnaissance et de ventes au final). Autre carrière, non musicale. Et puis finalement, il y a quelques années, après une très éphémère réunion de Lush (2016, mêmes problèmes initiaux, mêmes effets), Miki Berenyi se décide à remonter sur scène seule, si l'on peut dire : c'est avec un quintet nommé Piroshka d’abord, fine équipe d’anciens du rock londonien (2 bons albums au compteur en 2019 et 2021) puis après élagage avec le Miki Berenyi Trio où ne subsiste donc qu’elle, Miki Berenyi, Oliver Cherer (basse) et Kevin McKillop dit « Moose » (guitare lead), autre représentant de l’indie-rock londonien souterrain des 90’s, et qui a aussi la particularité d’être son époux. Ensemble ils jouent une dream-pop parfois éthérée parfois plus remuante, toujours intéressante. Le poids des années n’est pas flagrant.

Et sur scène alors ? C’est cette question qui nous a poussé à faire le voyage à Lille, un soir assez vilain d’avril 2024. Vague de froid tardive, pluie, retard du TGV, Lille nous aura tout fait. Avril, ne te… On connaît la suite.

Il fait d'ailleurs cinq ou six degrés dans la salle quand Miki et Moose débarquent à l’improviste pour le soundcheck, 21 heures même pas frappées. Miki se frotte vigoureusement les mains, transie de froid. Freezing entend-on… Quelques minutes plus tard Moose traduit en français, le groupe installé. Miki est au centre évidemment, Moose à sa gauche toujours en retrait et un peu de biais, très satisfait de laisser la lumière à sa femme et de faire son petit ouvrage à la guitare. Pas de batteur mais une boîte à rythme, et à la droite de Miki Oliver Cherer, tout à fait placide et que le froid n’a pas l’air d’atteindre une seconde quant à lui. L’élément le plus remuant du trio, ravi de propulser le show de ses petits riffs dynamiques et de participer ainsi au Miki Berenyi Revival.

Qui fonctionne d’entrée, il faut le dire, grâce à une setlist on ne peut plus efficace et pragmatique : une bonne moitié de titres de Lush donc, là pour blinder l’appétit de nostalgie du public souvent grisonnant, et une autre de compositions récentes, pour certaines déjà sorties avec Piroshka, pour d’autres encore inédites en studio. Certaines marchent très bien, comme "V.O" ou "Everlasting Yours" (Piroshka) ou "Vertigo" et "Big I Am" pour le MBT (de futurs singles semble-t-il). C’est aussi sur celles-ci que le trio semble le plus s’amuser musicalement et physiquement, loin de la pression de l’Histoire. Instant assez funky sur "Big I Am" notamment, qui fait plaisir à voir.

Quant à la partie Lush, la fameuse, c’est dans les compos de Miki Berenyi qu’il fallait placer ses espoirs ce soir, les plus belles pièces d’Emma Anderson étant logiquement hors concours, copyright oblige (on pense au sublime "Desire Lines" par exemple, ou au génial hit britpop "Single Girl"). Il y a de quoi faire heureusement… "Kiss Chase" (album Split, 1994) ouvre le bal des retrouvailles dream-pop, et c’est un grand instant musical d’entrée : Miki et Moose envoie un magnifique mur de guitare grésillante à l’ancienne, les pédales d’effet sont allumées, Miki frôle le micro des lèvres pour mieux poser sa voix perçante comme à son habitude et ça marche, oui ça marche assez… Elle a les yeux fermés tout du long quasiment, la main sûre à l'aveugle sur sa chère Fender Stratocaster, métronome et décidée, laissant pénétrer et se diffuser au dehors cette petite vibration lancinante propre à Lush qui nous colle quelques frissons à quelques mètres de là… C’est beau.

Magie du moment, magie de ces quelques compos historiques délicieusement lourdes et pop à la fois qu’elle et Emma ont produit à la pelle en quelques années seulement, hélas, magie de cette voix de crécelle qui surplombe le fracas régulier des guitares diffractées, magie de cet équilibre anormal mais unique. Deux titres plus loin "Covert" arrive (album Spooky, 1992), et c’est de la même engeance. Pas mal d’applaudissements dans le public, quelques cris, mais pas d’énervement non plus. Une atmosphère de respect teintée d’émotion, globalement, un peu au diapason de ce que nous offre le trio. Du classique sans heurts, sans pavoiser. C’est répété, c’est parfait. Miki Berenyi la première, habituellement pas avare en « banter » (petites blagues typiquement british), n’en rajoute pas ce soir d’ailleurs. Le froid peut-être, la barrière de la langue aussi sans doute, et la première date de cette mini-tournée, tout l’incite à se concentrer sur sa voix et ses accords et c’est tant mieux. Sa seule présence donne une allure quasi mythologique à l’instant, de toute façon. "Light For A Dead Star" s’intitule un autre classique de Lush, joué ce soir. Que nenni. Elle est bien vivante, et devant nous.

Et elle n’est pas venue les mains vides en terre française, de surcroît : pour la traditionnelle reprise du superbe "Love At First Sight" (The Gist) c’est ainsi en français, aidé d’une petite feuille et de lyrics confectionnés grâce à Google Translate nous dit-elle, qu’elle se lance dans un étonnant et cristallin « j’ai attendu, à la station… » ("I was waiting at the station" dans la VO) d’une voix logiquement un peu hésitante par instants et pas toujours totalement compréhensible en VF avec la grosse réverb sur ce titre, mais peut-être encore plus envoûtante de ce fait... On est un peu ému du geste. Thanks.

Et à l’autre extrémité du spectre, en fin de set, arrive "Ladykillers", parfait petit hit indie de 1996 à grosses guitares mais chorus pop pétéradant, bravade typiquement Berenyienne et hymne proto-féministe indispensable lancé à la gueule de tous les mâles rock intouchables un peu pénibles de l’époque (les noms sont dans sa bio, excellente). « So save your breath for someone else, and credit me with something more » entonne-t-elle sans une fraction de seconde d'hésitation à toute berzingue puis « when it comes to men like you, I know the score, I've heard it all before... » et ça n’a pas pris une ride, honnêtement : c’est instantanément prenant, entraînant, puissant mais léger, drôle et malin et dix autres choses, c’est #metoo trente ans avant #metoo et c’est joué et chanté avec la même assurance et petite ironie so british qu’en 96, sans aucune peur, pudeur ou maniérisme girly ou quoi que ce soit et voilà peut-être le seul résumé valable de cette soirée en compagnie du MBT… En 2024 Miki Berenyi est toujours une icône et ça se voit, ça s’entend. La soirée se finit là-dessus, quasiment.

Le Miki Berenyi Trio sera à Dijon lundi, au Consortium. Allez-y si vous pouvez.

 

Extrait : "Love At First Sight" (en VF)

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mardi 23 avril 2024

Live : Erlend Øye & La Comitiva

 

Photo personnelle

Au Cabaret Sauvage, le 23 avril 2024

Entrer dans le monde d'Erlend Øye, c'est pénétrer dans un univers multiple et protéiforme, plein et riche de "diversité" comme on dit : surtout célèbre pour être la moitié de l'iconique duo folk norvégien Kings of Convenience (avec Eirik Glambek Bøe), le grand roux aux pantalons en lin n'a pourtant jamais su s'en tenir à ce titre de gloire et mène depuis près de 20 ans une carrière parallèle moins classique et classieuse mais tout aussi passionnante, medley de divers styles (folk, pop, electronica) rencontrés et affinés au gré de ses divers séjours en Europe (Londres, Berlin puis Syracuse en Sicile depuis plus de 10 ans maintenant).

Pour ceux que ça intéresse, une petite rétrospective en 15 titres.

Retour en 2024 : bien fixé en Sicile, et entouré de ses nouveaux compères à la guitare (Marco Castello, Luigi Orofino, Stefano Ortisi), Erlend Øye existe donc désormais comme "Erlend Øye & La Comitiva" (bien qu'il tourne toujours avec les Kings, aussi). Un projet synonyme de retour aux origines folk, à cela près que c'est désormais le folklore sud-européen qu'il explore avec grâce et légéreté. Un premier album vient de sortir pour couronner ce projet (seulement en vinyle pour l'heure, puis en ligne le 17 mai), mais quelques singles parsemés ici et là depuis quelques années nous montraient déjà l'orientation solaire du quatuor : le beau et joyeux "Matrimonio di Ruggiero" notamment, sorti l'an passé, ou encore le très plaisant instrumental "Altiplano".

Place aux guitares au Cabaret Sauvage donc hier soir... petites ou grandes. Pas de percussion dans la formation, mais deux guitares (dont une "basse") et deux banjos - dont celui d'Erlend, assurant la plupart des solos sur cette toute petite chose en bois paraissant aimablement dérisoire entre ses mains de géant viking avoisinant les deux mètres... Les cordes sont sensibles, les rythmes d'abord tranquilles puis plus enlevés et même entêtants parfois, comme sur cette version de "For The Time Being", au rythme emprunté à un morceau techno de Detroit dixit Erlend lui-même (le croisement des styles, toujours). Et puis rapidement trois nouveaux amis débarquent avec des vents (trombone, trompette et flûte)... Ambiance fanfare italienne sur "Matrimonia di Ruggiero", sans surprise, et surtout sur le magnifique "La Prima Estate" qui clôturera la soirée (cf. plus bas) : les cordes valdinguent, les vents s'emportent, Erlend agite les jambes et fait quelques pas de danse, le public ravi clappe et acclame, c'est idyllique, c'est Erlend.

D'autres instants sont plus intimes : l'introduction surtout, avec quelques titres sortis de son répertoire solo - "Fence Me In" et "Peng Pong" (Legao, son superbe second album pop-folk enregistré avec un groupe de reggae islandais) puis "Price", petite ballade folk ultra simple à la Kings of Convenience enregistré avec son autre compère Sebastian Maschat au Mexique. C'est l'occasion de se rappeler qu'Erlend Øye est physiologiquement incapable de composer une chanson médiocre. Avec lui les mélodies et harmonies vocales sont toujours là au bon endroit, simples en apparence mais parfaites. Travail ? Talent ? Ce débat-là ne nous intéresse pas. Magnanime, l'homme laisse aussi parfois la scène à ses compères - une compo personnelle pour Marco Castello, une pour Luigi Orofino. Les trois préposés aux vents (venus de Pologne) vont et viennent au gré des chansons quant à eux, sans gêne aucune. Erlend aime beaucoup la salle - il nous le dit - et n'en finit pas de remuer ses longues guiboles de volleyeur, arborant ce soir un pantalon de lin jaune clair absolument estival... C'est les vacances, c'est la mer, c'est l'Italie. Les moments de chant alternent avec les longues plages instrumentales gorgées de soleil. Tout le monde est très détendu. Et climax : l'espace d'un instant c'est toute la troupe qui suit Erlend et met à chalouper en cadence de droite à gauche, le temps d'une valse bolognaise... Gauche, droite, gauche, droite... On voudrait s'endormir sur cette image.

Pour finir, la bande s'offrira une petite excursion dans le public, grattant tranquillement les cordes et les pistons quelques minutes avant de fendre lentement la foule et de rejoindre les coulisses en musique, comme une fanfare en goguette répétant vaguement dans les rues un lendemain de soirée un peu trop arrosée... Pas indispensable d'un point de vue musical, mais pourquoi pas. Erlend Øye peut tout se permettre.

 

 Extrait : "La Prima Estate"

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