Adam Granofsy en plein rendez-vous avec la grâce |
The War on Drugs, maîtres du rock-psyché de Philadelphie, avaient promis, disait-on, d’exploser le Zénith en mille morceaux avec plus de 2 heures de set : folie apparente ne pouvait-on que penser, ou bluff. C’est chose faite ce soir pourtant, et refaite, et refaite encore avec plus de 2 heures et 15 minutes de concert montre en main… Une expérience de rock total.
TWOD – nous les appellerons ainsi – occupe une place un peu curieuse dans le paysage rock actuel : plus mainstream des groupes d’indie-rock, ou plus indie des groupes mainstream, Adam Granduciel et ses coéquipiers pratiquent depuis plus de 10 ans maintenant un rock atmosphérique et électrique à la fois accessible et ultra perfectionné – Adam Granofsky, de son vrai nom, est notamment connu pour mixer et remixer chaque piste d’album à l’infini avec des dizaines et dizaines d’overdubs de guitares ou de claviers… Un obsessionnel du son, qui ne s’épanouit que dans deux situations bien précises et bien distinctes : le studio, enfermé à double tour, et le live, penché comme un damné sur sa guitare et son vibrator et titubant régulièrement sur la scène comme un forcené échappé d’une clinique psychiatrique. Un homme de paradoxe.
Le Zénith donc. Le temps que l’oreille se fasse – le son est d’abord très fort, semblant masquer presque toute tentative mélodique – Granofsky et compagnie rentrent rapidement dans le vif du sujet avec "Pain" et "I Don’t Wanna Wait", deux puissantes ballades euphorisantes remplies de solos de guitare géniaux et de ponts interminables qui préfigurent déjà les deux heures à venir : une succession de tubes électrisants interprétés haut la main et surtout constamment étirés de longues minutes au-delà du raisonnable et de la version studio… Les solos de Granofsky n’en finissent plus, les longues nappes de clavier non plus. "Thinking Of A Place", 11 minutes en version originale, dure bien le double. J’exagère un peu, à peine.
Cette propension à s’étaler, c’est aussi l’effet logique du leadership atypique d’Adam Granoksky, chanteur et guitariste lead sur scène – plus qu’une anomalie à ce niveau. Humain après tout, le boss tranquille de Philly est presqu’astreint mécaniquement à faire durer les choses : chanter et gratter, il ne peut le faire simultanément – pas au niveau monstrueux guitaristiquement qui est le sien en tout cas – alors il fait d’abord l’un, puis l’autre. Lyrics, solos. Le temps s’étire par conséquent. Une heure passe, une heure et demie. On s’installe.
L’avantage de ce format – 5 minutes d’instru s’il le faut, ou 2 petites minutes de solo conjoint guitare / saxophone – c’est que l’extase sonore est toujours une éventualité à portée de main. Granofsky et ses musiciens ne s’en privent pas. La perfection est notamment atteinte sur "Under The Pressure", un titre déjà costaud en VO encore réhaussé d’un pont instrumental absolument hypnotique et presqu’insoutenable d’efficacité, ou encore sur le plus classiquement catchy "Red Eyes", faisant littéralement péter les plombs aux quelques jeunes danseurs du premier rang… Certains ne se contrôlent plus. Pogo spontané, solo gratiné. On notera aussi l’étonnante intro de "I Don’t Live Here Anymore", étirée pendant quasiment 5 minutes pour laisser à Adam le temps introduire chaque membre du groupe… Ces gens-là peuvent tous se permettre.
Adam Granduciel* donc, de son nom d’artiste, pour finir. Une incongruité dans le paysage rock, un paradoxe comme dit plus haut : soit un homme ayant spontanément le charisme d’un obscur roadie de seconde zone (il était ce soir vêtu d’un jean noir et d’un t-shirt rose-bleu pseudo-psychédélique informe et absolument affreux, sans parler de sa coupe de cheveux), et très loin d’être un band leader à sex-appeal XXL à la Casablancas ou Alex Turner (no offense, je les adore), mais en dépit de tous ses manquements au style et au marketing captivant pourtant les audiences comme un véritable rock god à l’ancienne… Une chimie improbable.
Ajoutez à cela un groupe derrière lui plus que
fourni – six musiciens, et au moins le double d’instruments (trois guitares, quatre claviers/synthés, un saxo, un tambourin...) – et largement
compétent, mais rien n’y fait, la lumière qu’il ne semble pas chercher ne
le quitte pas : chacun de ses solos de guitare distordue à grands coups de vibrator
fait dans le public l’effet d’une petite décharge électrique ou d’une prise de
drogue quelconque… Il en use sans parcimonie mais sans bravacherie non plus, tout dédié qu'il est à son instrument, et comme plongé dans une sorte d'incantation. Une présence quasi mystique, et durable, qui conjuguée
au caractère presqu’orchestral du groupe n’est pas sans rappeler un certain
Bruce Springsteen avec son E Street Band – capable lui aussi de tenir la scène pendant 3 heures avec claviers et saxophone à l'appui... Nul doute que TWOD n’aura jamais la notoriété mondiale et inépuisable du
Boss, bien sûr, mais musicalement et scéniquement c’est bien à ce niveau-là de
performance et de communion spontanée avec l’auditoire qu’ils se placent
désormais, il me semble. Je crois.
Vous trouvez la comparaison exagérée ? Peut-être. TWOD ne remplit pas encore des stades il est vrai, but who cares ? Laissons ça aux footballeurs.
*Le nom Granduciel provient d’une plaisanterie de son ancien professeur de français, qui lui avait fait remarquer que son patronyme (Granofsky) pouvait plus ou moins être traduit comme cela en français… C’est assez affreux comme blague mais c’est resté.
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1 seul extrait personnel cette fois, et de particulièrement mauvaise qualité (mon téléphone hors d’âge n’a pas supporté les sons et lumières du Zénith) : "Pain", un des sommets du début de live, avec un des innombrables solos lumineux d’Adam Granofsky. Paix à lui et à la guitare électrique.
Aussi, une version de "Under the Pressure" captée d'un peu plus loin (ça n'est pas de moi) mais qui donne une bonne idée de l’ambiance générale sur scène et dans la salle.
Prochain live : la facétieux Mac Demarco au Cabaret Sauvage (26 juillet)
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