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A l'Aéronef (Lille), le 25 avril 2024
47% : c’est le ratio de titres de Lush que la petite foule réunie à l’Aéronef de Lille jeudi soir aura eu le plaisir d’entendre en chair et en os, et plus spécifiquement en la personne de Miki Berenyi qu’on ne présente plus mais tout de même, au cas où : fondatrice de l’emblématique groupe anglais cité plus haut avec Emma Anderson au tournant des années 80/90, membre de la première amicale londonienne des groupes labellisés « shoegaze » (pédales d’effet au maximum, pose de rock star minimum), d’abord allégrement moqués par la presse musicale UK puis largement réhabilités une ou deux décennies plus tard (voir Ride, Slowdive). Une aventure écourtée hélas dès 1996 s’agissant de Lush, la faute à des relations pas faciles entre Miki B et Emma A, et aussi surtout au décès tragique de leur batteur et ami (Chris Acland, suicide).
Long blanc ensuite. Lush n’existe plus et Emma continue un peu son chemin en solo mais Miki lâche l’affaire elle, complètement (fatigue et lassitude de trimer pour peu de reconnaissance et de ventes au final). Autre carrière, non musicale. Et puis finalement, il y a quelques années, après une très éphémère réunion de Lush (2016, mêmes problèmes initiaux, mêmes effets), Miki Berenyi se décide à remonter sur scène seule, si l'on peut dire : c'est avec un quintet nommé Piroshka d’abord, fine équipe d’anciens du rock londonien (2 bons albums au compteur en 2019 et 2021) puis après élagage avec le Miki Berenyi Trio où ne subsiste donc qu’elle, Miki Berenyi, Oliver Cherer (basse) et Kevin McKillop dit « Moose » (guitare lead), autre représentant de l’indie-rock londonien souterrain des 90’s, et qui a aussi la particularité d’être son époux. Ensemble ils jouent une dream-pop parfois éthérée parfois plus remuante, toujours intéressante. Le poids des années n’est pas flagrant.
Et sur scène alors ? C’est cette question qui nous a poussé à faire le voyage à Lille, un soir assez vilain d’avril 2024. Vague de froid tardive, pluie, retard du TGV, Lille nous aura tout fait. Avril, ne te… On connaît la suite.
Il fait d'ailleurs cinq ou six degrés dans la salle quand Miki et Moose débarquent à l’improviste pour le soundcheck, 21 heures même pas frappées. Miki se frotte vigoureusement les mains, transie de froid. Freezing entend-on… Quelques minutes plus tard Moose traduit en français, le groupe installé. Miki est au centre évidemment, Moose à sa gauche toujours en retrait et un peu de biais, très satisfait de laisser la lumière à sa femme et de faire son petit ouvrage à la guitare. Pas de batteur mais une boîte à rythme, et à la droite de Miki Oliver Cherer, tout à fait placide et que le froid n’a pas l’air d’atteindre une seconde quant à lui. L’élément le plus remuant du trio, ravi de propulser le show de ses petits riffs dynamiques et de participer ainsi au Miki Berenyi Revival.
Qui fonctionne d’entrée, il faut le dire, grâce à une setlist on ne peut plus efficace et pragmatique : une bonne moitié de titres de Lush donc, là pour blinder l’appétit de nostalgie du public souvent grisonnant, et une autre de compositions récentes, pour certaines déjà sorties avec Piroshka, pour d’autres encore inédites en studio. Certaines marchent très bien, comme "V.O" ou "Everlasting Yours" (Piroshka) ou "Vertigo" et "Big I Am" pour le MBT (de futurs singles semble-t-il). C’est aussi sur celles-ci que le trio semble le plus s’amuser musicalement et physiquement, loin de la pression de l’Histoire. Instant assez funky sur "Big I Am" notamment, qui fait plaisir à voir.
Quant à la partie Lush, la fameuse, c’est dans les compos de Miki Berenyi qu’il fallait placer ses espoirs ce soir, les plus belles pièces d’Emma Anderson étant logiquement hors concours, copyright oblige (on pense au sublime "Desire Lines" par exemple, ou au génial hit britpop "Single Girl"). Il y a de quoi faire heureusement… "Kiss Chase" (album Split, 1994) ouvre le bal des retrouvailles dream-pop, et c’est un grand instant musical d’entrée : Miki et Moose envoie un magnifique mur de guitare grésillante à l’ancienne, les pédales d’effet sont allumées, Miki frôle le micro des lèvres pour mieux poser sa voix perçante comme à son habitude et ça marche, oui ça marche assez… Elle a les yeux fermés tout du long quasiment, la main sûre à l'aveugle sur sa chère Fender Stratocaster, métronome et décidée, laissant pénétrer et se diffuser au dehors cette petite vibration lancinante propre à Lush qui nous colle quelques frissons à quelques mètres de là… C’est beau.
Magie du moment, magie de ces quelques compos historiques délicieusement lourdes et pop à la fois qu’elle et Emma ont produit à la pelle en quelques années seulement, hélas, magie de cette voix de crécelle qui surplombe le fracas régulier des guitares diffractées, magie de cet équilibre anormal mais unique. Deux titres plus loin "Covert" arrive (album Spooky, 1992), et c’est de la même engeance. Pas mal d’applaudissements dans le public, quelques cris, mais pas d’énervement non plus. Une atmosphère de respect teintée d’émotion, globalement, un peu au diapason de ce que nous offre le trio. Du classique sans heurts, sans pavoiser. C’est répété, c’est parfait. Miki Berenyi la première, habituellement pas avare en « banter » (petites blagues typiquement british), n’en rajoute pas ce soir d’ailleurs. Le froid peut-être, la barrière de la langue aussi sans doute, et la première date de cette mini-tournée, tout l’incite à se concentrer sur sa voix et ses accords et c’est tant mieux. Sa seule présence donne une allure quasi mythologique à l’instant, de toute façon. "Light For A Dead Star" s’intitule un autre classique de Lush, joué ce soir. Que nenni. Elle est bien vivante, et devant nous.
Et elle n’est pas venue les mains vides en terre française, de surcroît : pour la traditionnelle reprise du superbe "Love At First Sight" (The Gist) c’est ainsi en français, aidé d’une petite feuille et de lyrics confectionnés grâce à Google Translate nous dit-elle, qu’elle se lance dans un étonnant et cristallin « j’ai attendu, à la station… » ("I was waiting at the station" dans la VO) d’une voix logiquement un peu hésitante par instants et pas toujours totalement compréhensible en VF avec la grosse réverb sur ce titre, mais peut-être encore plus envoûtante de ce fait... On est un peu ému du geste. Thanks.
Et à l’autre extrémité du spectre, en fin de set, arrive "Ladykillers", parfait petit hit indie de 1996 à grosses guitares mais chorus pop
pétéradant, bravade typiquement Berenyienne et hymne proto-féministe indispensable lancé à la gueule de tous les mâles rock intouchables un peu pénibles de l’époque
(les noms sont dans sa bio, excellente). « So save your breath for someone
else, and credit me with something more » entonne-t-elle sans une fraction de seconde d'hésitation à toute berzingue puis « when it comes to men like you, I know the score, I've heard it all before... » et ça n’a pas
pris une ride, honnêtement : c’est instantanément prenant, entraînant, puissant mais léger, drôle et malin et dix autres choses,
c’est #metoo trente ans avant #metoo et c’est joué et chanté avec la même assurance
et petite ironie so british qu’en 96, sans aucune peur, pudeur ou maniérisme girly
ou quoi que ce soit et voilà peut-être le seul résumé valable de cette soirée
en compagnie du MBT… En 2024 Miki Berenyi est toujours une icône et ça
se voit, ça s’entend. La soirée se finit là-dessus, quasiment.
Le Miki Berenyi Trio sera à Dijon lundi, au Consortium. Allez-y si vous pouvez.
Extrait : "Love At First Sight" (en VF)
Plus de vidéos de la soirée sur ma chaîne YouTube
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