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lundi 11 mars 2024

DIIV à Paris, symptôme d'une Amérique malade

 

Photo personnelle

Au Trianon, le 10 mars 2024

DIIV à Paris hier, c’était un peu du chaos de l’Amérique soudain déchargé dans la très chic et polie salle du Trianon, boulevard Rochechouart. Il y a 10 ans de cela, pourtant, DIIV pouvait vaguement apparaître comme un groupe indie "cool", mélange malin de shoegaze planante croisée à la world music et d’esprit hipster / Brooklyn vegan. Zachary Cole Smith était une idole mineure mais bien réelle pour certains, artiste multi-disciplinaire et ancien mannequin, bref un personnage absolument américain rêvé et masquant encore à peu près son addiction complète au shoot. C’était l’Amérique d’Obama, tout le monde était beau, tolérant, bienveillant. Avenir radieux, arpèges mélodieux.

Et puis la vie est passée par là.

C’est un Zachary Cole Smith très différent qui se présentait hier soir : cheveux courts décoiffés, regard fuyant, silhouette émaciée fragile sous un pantalon baggy et un immense sweat gris tout informe comme camouflages, ZCS est là mais pas là, et c’est apparemment la formule toute entière de DIIV version 2024 et de leur album sombrissime à venir, Frog in Boiling Water – une métaphore peu cryptique de l’abrutissement progressif de la planète semble-t-il (cf. le syndrome de la grenouille dans l’eau bouillante). D’emblée la scénographie épouse d’ailleurs les contours de cette idée, étrange assemblage de caricatures d’idioties new age pseudo-transcendentales, de vidéos corporate et de collages complotistes apocalyptiques. L’Amérique de 2024, semblent nous dire ZCS et ses potes, est un magma de psychoses, de mal-être et de croyances délirantes, et toutes se rejoindront un jour pour signer la fin du monde, la vraie. « I want to disappear… » chantonne faiblement un moment Zach, l’écran rouge derrière lui faisant défiler sans aucun ordre logique signes kabbalistiques inconnus et posts de blogs Qanon-compatibles pourfendant les hippies et la guerre à la fois... Ambiance.

Côté musique, la tendance suit : après deux ou trois vieux morceaux sautillants d’entrée pour le fan service (le classique « Under The Sun » notamment), les quatre compères plongent rapidement dans la partie la plus touffue, étouffante et dissonante de leur disco, plongeant la salle dans un semi-obscurité légèrement teintée d’un rouge pour le moins menaçant… Du My Bloody Valentine de la période la plus crade, sans la bonne bouille d’éternel ado de Kevin Shields. ZCS murmure quelques mots puis tourne le dos et va gratter sa gratte loin du monde, le corps complètement ramassé sur son instrument, presque bossu, Andrew Bailey bastonne comme d’habitude au centre en pantalon treillis, capuche de son sweat baissée sur sa casquette et les pieds régulièrement en extension, quasi décollés du sol. Colin Caulfield, tout de noir vêtu et dernier venu dans le groupe, fait un peu plus sobre. Impression d’un groupe totalement disjoint ou chacun fait sa vie à part, allant chercher les quelques shots d’adrénaline disponibles là où ils sont. ZCS revient parfois près du micro, le cou toujours parallèle au sol, actionne sa pédale. Grondement soudain.

Une heure s’écoule globalement comme ça, lourde et méditative, interrompue seulement par deux clips de développement personnel aussi lumineux qu’absolument vaseux. « Soul Net » et « Brown Paper Bag », les deux singles de leur album à venir, sont introduits et ne déparent pas vis-à-vis de l’ensemble : lents, poisseux, assourdissants, paralysants comme une sonate jouée dans des sables mouvants. Andrew Bailey enlève finalement son sweat et c’est un rare signal de décontraction ce soir. Première fin, puis les quatre reviennent. ZCS remercie un moment la foule, mais 10 secondes après les applaudissements. Déconnexion totale.

Dernier sommet avec l’interprétation de « Doused », merveille de leur premier album Oshin, vrai petit éclair de lumière guitaristique à l’époque. C’était il y a dix ans, il y a très longtemps. Le live est maintenant fini, les quatre saluent faiblement de la main, ZCS scrute le public assez mal à l’aise puis va se réfugier en loge, où le chaos du monde s’interrompt parfois, l’espace de quelques secondes.

Ainsi va l’Amérique, entre deux fusillades de masse. 

 

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