« When it's Sunday and I’m bored, I get myself a cup of tea and watch some old New Order vids » (proverbe anglais, circa. 1760)
Plusieurs choses importantes à savoir sur le clip de l’indémodable "Temptation" des Mancuniens de New Order.
- Ce clip, réalisé en 2006 par Michael Shamberg, est très postérieur à la sortie originale de "Temptation" (1982). Les membres de New Order avaient une sainte horreur des clips vidéo à leurs débuts, format considéré comme le comble du mauvais goût et du marketing décomplexé, et ont donc longtemps tout fait pour y apparaître le moins possible en laissant le bébé à divers directeurs artistiques proches de Factory Records (cf. le clip de True Faith, un de leurs plus grands succès, réalisé par le Français Philippe Découflé, célèbre pour avoir mis en scène la cérémonie d'ouverture des JO d'Albertville), ce qui rendait absolument fou Tom Atencio, leur manager aux US, le pauvre essayant désespérément de développer leur marque aux Etats-Unis. En toute logique, le groupe est donc totalement absent de ce clip.
- La version de "Temptation" utilisée ici est une version alternative, sensiblement plus pop que la version originale, beaucoup plus électro, et enregistrée en 1981 en pleine période new-yorkaise (juste avant "Blue Monday") - et également un peu plus longue (7 minutes au total). Elle a été produite spécialement pour la compilation Substance (1987), grand succès commercial, et s’est plus ou moins imposée comme la version phare depuis (quoique). Il existe également une troisième version carrément techno (face B de l’originale) ainsi qu'une version single raccourcie, expurgée d’une partie des lyrics (à partir de « bolts from above… »), ce qui n’est rien de moins qu’un crime contre la musique.
- L’héroïne de ce qui s’apparente à un petit court-métrage, intitulé "The Temptation of Victoria", est interprétée par Victoria Bergsman, une chanteuse suédoise anciennement membre du groupe pop The Concretes, et probablement plus connue pour avoir chanté sur le "Young folks" de ses compatriotes Peter, Bjorn and John (2006).
- Le passage du noir et blanc à la couleur en cours de vidéo, accompagnant très bien le long final dansant tout en onctuosité et petits riffs délicieusement pop, peut renvoyer au film Les Ailes du Désir de Wim Wenders (1987), tourné à Berlin-Ouest, qui utilise le même procédé et a été plusieurs fois copié depuis (hypothèse personnelle).
- L’idée de voir Victoria voler un vinyle en douce serait quant à elle inspirée du défunt Ian Curtis, qui faute de moyens financiers avait l’habitude de chaparder des disques à la boutique locale de Macclesfield en les glissant sous son grand imper gris d’artiste incompris (hypothèse plus officielle). La coupe de cheveux de Victoria Bergsman rappelle aussi étonnamment celle de Curtis.
- Le clip a été tourné à Paris, principalement entre le 9ème et le 18ème arrondissement : le clip s’ouvre sur une vue de la rue Steinkerque, et son habituel flot de touristes montant vers le Sacré Cœur. La boutique « La Baleine bleue » apparaissant à 2:48 est par ailleurs toujours en activité, située au 15 rue Rodier (c’est un atelier de poterie, si ça peut intéresser).
- La danse de salon intervenant en fin de vidéo est tout à fait délicieuse, et aisément réplicable chez soi. Chanter « up, down, turn around », tourner effectivement sur soi, puis « please don’t let me hit the ground ! ». Recommencer.
- Les « ouh ouh ouh ouh ouh… » si plaisants et iconiques de cette chanson viennent de l’habitude qu’avait Bernard Sumner de d’abord chantonner un peu n’importe quoi sur la musique pré-enregistrée pour trouver les bonnes mélodies vocales puis les bons mots, preuve s’il en fallait une de la folle musicalité de ce groupe (!). Cette technique, raconte Peter Hook dans Substance, fut rapidement qualifiée de « dah dee deeing ».
- L’avis de Peter Hook sur cette chanson (extrait de Substance) : « Rapide, dansante, simple. Temptation est devenue la chanson qu’on essaierait ensuite constamment de répliquer sans y parvenir. Un truc qui n’arrive qu’une fois dans une vie. »
- D’après une rapide enquête sur le net, "Temptation" est systématiquement dans le top 2 ou 3 des meilleurs chansons de New Order selon plusieurs publications plus ou moins sérieuses (The Guardian par exemple). Ce serait également le cas si je m’essayais à un top 20 ou 30. J’aime assez le résumé qu’en fait Pop Matters, dont voici la traduction :
« "Temptation", bien plus que l’album Movement, est une déclaration au monde : Joy Division est mort, vive New Order. Jamais le groupe ne produira quelque chose d’aussi entièrement et totalement jouissif que "Temptation", une perle d’écriture pop conçue pour atteindre le maximum de plaisir. « Up, down, turn around, please don’t let me hit the ground » lâche en refrain Sumners, invitant le public à s’impliquer dans la chose d'une façon totalement étrangère à la manière plus distante, et froide, de Joy Division. Alors que Joy Division avait construit toute sa musique sur l’idée d’isolement au monde, restant dans la distance et l’évocation, New Order et "Temptation" nous offraient soudain la musique comme une libération, comme la catharsis venant après la souffrance. »
Amen !
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