Image extrait de l'artwork de l'album (crédit : Sara Melvin/Colby Richardson) |
L’avantage d’avoir, comme Feist, écoulé quelques disques au début de sa carrière grâce à une pub pour le grand capital (cf. "1234", album The Reminder, 2007), c’est que l’on peut faire un peu ce qu’on veut par la suite. Metals (2011), petit chef d’œuvre blues-folk presque confidentiel, était déjà une chose assez éloignée de la pop mainstream et catchy. Pleasure (2017) s’en éloignait tout aussi poliment. "Century", par exemple, single en vague duo avec Jarvis Cocker, était quasiment une déclaration de guerre à l’industrie du disque. Qui pourrait avoir envie d’écouter cela ? Quelques idiots encore heureusement.
En cela Multitudes, la petite merveille qui nous arrive en cette belle année 2023, n’est pas si différente de ses deux prédécesseurs : très dépouillé, cérébral et physique à la fois, stylistiquement perdu quelque part au milieu d’une forêt entre baroque pop, folk et blues, ce sixième opus rend grâce à son titre par son infinie palette de petites textures sonores subtiles jamais complètement pareilles l’une à l’autre - la vraie marque Feist désormais, indubitablement. Une variation d’abord fonction, comme toujours, du magnifique timbre vocal de Leslie Feist bien sûr, dont elle sait toujours jouer intelligemment pour transcrire la dominante de l’instant (force ou faiblesse, dépit ou espoir) – effort encore amplifié par les polyphonies vocales dont elle use ici souvent pour traduire le concert de voix qui opère parfois à l'intérieur de nos pauvres petites têtes... Un projet bien entendable dans "In Lightning", premier titre de l’album et premier single révélé il y a quelques semaines.
Variation musicale plus globalement ensuite, avec un subtil arrangement de tonalités acoustiques et d’orchestrations plus amples bien à elle, et où toute note de guitare semble toujours pensée dans un but bien précis. Well done, Leslie.
Au final, pour me contredire, l’album le plus radicalement anti-pop
et intime de toutes ses productions sans doute, la faisant accéder à un statut
de prêtresse folk laïque assez flou mais bizarrement réconfortant. Un joli hymne à
la résilience personnelle et à la connaissance de soi également : car Leslie Feist l’a dit
dans une interview récente, elle ne croît pas que « son boulot [de musicienne] soit
d’offrir de quoi passer un bon moment ou une bonne soirée. Je pense que la
seule raison pour moi d’écrire c’est d’essayer de comprendre ce qu’il m’arrive
dans la vie ». Qui n'en est pas là ?
Ce faisant, elle s’y emploie avec un courage et une délicatesse toujours appréciables dans ces 12 chansons pleines et réfléchies, et toutes attachées à une intention particulière : aller au fond d’un sentiment, d’un moment de vie, d’un souvenir (son père, disparu récemment, à qui elle dédie la vibrante "Become The Earth"), d’une arrivée (sa fille, adoptée il y a peu). Avoir un enfant, dit-elle par exemple à ce sujet, c’est un peu être « incinéré, pour renaître ensuite de ses cendres comme quelque chose de très différent, et de plus intéressant ». Des textes et des idées comme ça, elle en a quelques-uns.
Dans le même genre, j’aime aussi assez ces deux confessions, que je livre telles quelles pour finir (s’imaginer quand même les guitares folk en fond)
« Well maybe that you’re a real man, is what is in the way. Cause the idea of the man I love, he’s always loved me in his lonely way. What I can feel from my ideal love, is also love in a lonely way. » ("Love Who We Are Meant To")
« In the family forge, I got burned. Taught a story in so many words, that it's bеst to prepare for the worst. And to makе, these martyr moves » ("Martyr Moves")
Et un second extrait tout de même : "The Redwing", cinquième piste et petite perfection folk qui trainait dans l’air depuis un moment puisque Feist l’avait répétée avec les Kings of Convenience dans un couloir à Berlin en 2018 déjà (merci Youtube). Splendide moment ça aussi. The future of December…
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