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mardi 23 mai 2023

Rétrospective : Modern Vampire of the Cities (2013)


"Wisdom's a gift, but you'd trade it for youth
Age is an honor, it's still not the truth
We saw the stars when they hid from the world
You cursed the sun when it stepped to your girl
Maybe she's gone and I can't resurrect her
The truth is she doesn't need me to protect her
We know the true death, the true way of all flesh
Everyone's dying, but girl, you're not old yet."

C'est sur ces strophes que se conclut (presque) "Step", single scintillant et troisième piste du déjà classique Modern Vampires of the City, résumant ainsi bien l'impasse qui s'ouvre devant nous : comment résumer un album qui peut s'offrir des lyrics pareils ?

Il y a bien longtemps que l’on sait qu’Ezra Koenig - chanteur et leader de Vampire Weekend - en plus d’être musicien accompli, podcasteur aguerri, défenseur des LGBT et opprimés et détenteur de notre cœur, aurait pu être poète, artiste-peintre conceptuel, architecte ou mille autres professions créatives qui auraient stimulé son esprit exquis. Certains naissent avec tous les atouts dans la manche, c’est un fait. Le sien : écrire des chansons sublimes et les orchestrer à merveille.

En 2013 Vampire Weekend, rois de l’indie-pop et idoles des campus kids privilégiés de toute l’Amérique et de ses alliés, ont déjà produit deux albums au succès critique important : le jeune et facétieux Vampire Weekend pour commencer, subtil creuset d’afro-pop importée et de college tales d'Ivy League puis le plus travaillé Contra, dont l’histoire retiendra qu’il se conclut sur deux titres parfaits – d'abord le romanesque et solaire "Diplomat’s Son" puis "I Think Ur A Contra", petite ballade ultra-mélancolique évoquant une fille qui voulait à la fois « good schools » et « friends with pools », « rock and roll » et « complet control ». « Well I don’t know... » conclut Ezra. Oui.

Tellement respectés qu’il devient alors de bon ton de les mépriser un peu (trop new-yorkais, trop blancs, trop privilégiés, coupables d’appropriation culturelle – le « afro » de afro-pop), Koenig et ses trois amis (Rostam Batmanglij notamment, multi-instrumentiste et producteur surdoué) semblent destinés à une chute certaine, qu'elle soit lente ou soudaine. Ainsi fonctionne la physique moderne.

Modern Vampires of the City est tout sauf une chute, pourtant : c’est une élévation au contraire. Elévation à plusieurs niveaux : lyricale et littéraire, poétique et sonore, musicale et spirituelle, religieuse et profane, occidentale et ésotérique, et d’autres encore… Les mots manquent et cadrent mal. Comme le résume bien Ezra Koenig dans "Ya Hey" : « oh sweet thing, Zion doesn’t love you, and Babylon don’t love you, but you love everything… ». Babylone et Sion, deux cités radicalement inverses en apparence – New York la profane et Jérusalem la pieuse – mais secrètement reliées en ce qu’elles se refusent toutes deux intimement à Ezra Koenig, juif-américain athée sécularisé qui comme 90% de sa génération a abandonné tous les oripeaux des vieillies croyances obsolètes et ne sait plus à quel saint se vouer – la vie, les loisirs, l’amusement, l’art, le travail, la politique, l’amour, l’amitié, le sexe, et cetera, et cetera… Dit et redit. Fatiguant maintenant. Reste la musique ? Peut-être, peut-être pas.

Alors Modern Vampires of the City, œuvre spirituelle ? Le mot est un peu grand peut-être, mais il y a bien quelque chose de cela, je crois, et d’ailleurs l’obstination qu’ont mis les quatre musiciens pour produire un album au son véritablement « chaud » et donc chaleureux - techniquement plus proche des anciens disques au son analogique que des dernières productions numériques – prouve bien ce qu’il faut prouver. Ce qui tient cet album, plus encore que la qualité littéraire inédite de ses textes et ses orchestrations subtiles, c’est la poésie lente qui émane doucement de l’ensemble, une poésie discrète et secrète, celle d’un long poème chanté en cachette, honteux de sa soudaine sincérité et de sa naïveté, poème juste murmuré à certains instants, comme un psaume apocryphe ou perdu du Livre, ou juste une petite exhortation vaine et sans issues possibles... Un langage que même moi je peux comprendre. Et vous aussi peut-être, mais cela… C’est à vous de faire le chemin.

Et puis la musique est bonne, simplement. Écoutez "Obvious Bicyle" (simple piano et percussions multiples, sentiment de post-cuite, presque larmes aux yeux). Écoutez "Step" (croisement de hip-hop et d’art-pop, lyrics sus-mentionnés, non-sens de la vie révélé, adieu à une fille qui n’avait pas besoin de nous ni de personne en définitive). Écoutez "Hannah Hunt" (poème sur un road-trip, basse primaire mais vitale, envolée finale inattendue). Écoutez le tryptique "Everlasting Arms" / "Finger Back" / "Worship You" (ode au rythme et aux percussions, influences orientales diverses, perse et hébraïque et autres). Écoutez "Ya Hey".

Le seul ennui, après tout cela, c’est que le monde terrestre parait bien fade. Heureusement, il est possible de relancer le disque.

 

Obvious Bicyle (première piste de l'album)

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