Peter Hook / Substance, inside New Order (2016, 770 pages)
J’ai reçu par la Poste ce très beau livre il y a quelques semaines de cela. Après quelques 350 pages avalées, je peux attester du fait qu’il renferme toutes les informations dont un honnête homme a besoin : les dates de tournée belges, allemandes et néerlandaises de New Order en 1982 et 86 notamment, ainsi que la tracklist de tous leurs passages chez John Peele (BBC Radio) et un descriptif précis du fonctionnement de l’Oberheim DMX MkI Drum machine ayant servi à programmer ‘’Blue Monday’’. Sans oublier quelques photos rares.
Plus sérieusement, voici quelques extraits notables sur les débuts du groupe, période difficile vécue dans l’ombre écrasante de Joy Division et du suicide de Ian Curtis, jusqu’à leurs premiers grands singles électro-rock et leur libération musicale.
Traduction libre :
« Il fallait que l’un de nous fasse le chanteur maintenant (…) Martin [Hannett, le producteur de Joy Division] révérait Ian. De tout le clan Factory Records, c’était lui qui avait morflé le plus à sa mort, et en arrivant au studio on le trouva donc en train de soigner sa dépression de la façon habituelle, par la dope et la coke. Le fait qu’il ait une opinion assez lamentable de moi, Barney et Steve n’aidait pas tellement non plus : « Un génie et trois supporters de Manchester United », c’est ainsi qu’il avait l’habitude de résumer Joy Division. Ça n’était pas rigoureusement exact - Steve supportait plutôt Macclesfield Town - mais on voyait l’idée. »
« Pour Rob [Gretton, le manager du groupe], la marche à suivre était simple comme bonjour : ne pas toucher à la section rythmique de classe mondiale [Peter Hook et Steven Morris], faire passer Barney au chant et trouver quelqu’un d’autre pour assurer la guitare et les claviers. C’est tout. La méthode d’écriture resterait la même : la musique d’abord, les voix ensuite. Rob suggéra ensuite de prendre Gillian Gilbert : d’abord parce qu’elle avait déjà joué avec nous (quand Barney s’était blessé à la main à Liverpool) et faisait partie d’un groupe, The Inadequates, deuxièmement parce que c’était la copine de Steve, donc pas une inconnue, troisièmement parce qu’elle avait moins d’expérience que nous et ne bouleverserait probablement pas le son du groupe. »
« Le plan était d’enregistrer l’album au Strawberry Studio avec Martin Hannett, mais il était alors en mode connard absolu. Tous les matins, il arrivait au studio et nous sortait "Bon, je vais dans la salle des bandes" puis il allait s’installer dans la pièce pour lire et prendre de la drogue tout en écoutant vaguement ce qu’on avait enregistré sur une petite enceinte portable Auratone qu’avait bidouillée Chris Nagle, notre ingé son. "Si j’entends un truc qui me plait, je vous dirai" prévenait-il toujours. Il n’est jamais sorti de la pièce. »
« Notre aventure avait commencé par un concert des Sex Pistols puis par la rencontre de Ian, puis de Rob, puis de Tony Wilson [directeur de Factory Records], puis finalement de Martin Hannett. De tous ces grands guides, Ian et Martin avaient sans aucun doute été les plus inspirants, mais maintenant l’un des deux était mort et l’autre nous haïssait ; l’idée même d’être dans la même pièce que nous lui semblait insupportable, apparemment. Rétrospectivement, je suppose qu’une partie de son comportement était lié à la drogue, mais ça n’en était pas moins épuisant. »
« Les premières années, on avait beau répéter aux programmateurs qu’on était maintenant New Order, ils collaient systématiquement Joy Division en grand sur leurs affiches, ou ex-Joy Division ou « anciennement appelé Joy Division ». Rétrospectivement, je plains un peu les pauvres gars dans le public à l’époque : que des fans de Joy Division qui se pointaient là pour voir leur groupe préféré et découvraient qu’un machin appelé « New Order » les utilisaient comme cobayes pour tester leurs nouveaux morceaux. On les « ouvrait à de nouvelles perspectives », on disait alors. »
« En de nombreuses occasions, tout ça finissait en bagarre ou mini-émeute, surtout quand les types comprenaient que le set serait ultra-court, du genre vingt à vingt-quatre minutes à tout casser. Très ironique n’est-ce pas ? Ils détestaient ce qu’on faisait mais ils en voulaient encore. Bandes de débiles !
C’était vraiment un cauchemar un début. Mais on s’est accrochés, comme on a toujours fait. Une chose qu’on peut nous reconnaître tout au long de notre carrière, c’est qu’on a toujours été assez butés et têtus. On croyait totalement dans notre musique, et qu’elle finirait par l’emporter sur tout le reste. Le reste n’avait aucune importance. Donc à nos débuts la politique était la même que sous Joy Division : pas de singles sur les albums, pas de clips vidéos, pas de t-shirts et de tous ces produits dérivés à la con. Avec les journalistes, se montrer le plus évasif et imprédictible possible. On resterait fidèles à nos principes parce qu’on était toujours jeunes et idéalistes, et qu’on devait faire nos preuves en tant que New Order. Seul problème : on n’avait toujours rien enregistré. »
« La révolution technologique de New Order, elle s’est faite en l’espace de quatre titres : "Truth", pour laquelle on a martyrisé notre vieille boîte à rythmes Boss Dr-55 ; "Eveything goes green", le premier morceau post-punk/dance de l’histoire de Manchester, pour laquelle on a utilisé des synthés à pulsation pour la première fois ; puis "Temptation" et "Hurt" (…) Ces deux-là n’étaient pas seulement les premières sans Martin Hannett, et nos premières comme producteurs, mais aussi celles où on a utilisé les leçons de "Truth" et de "Eveything goes green" pour faire un énorme pas en avant.
C’est aussi sur ces deux titres qu’on s’est largement servi de notre passion pour Kraftwerk et Giorgio Moroder. C’est Ian Curtis qui nous avait fait découvrir ces Allemands géniaux, puis Giorgio Moroder avait été un coup de foudre encore plus énorme, notamment son travail avec Donna Summer sur "I Feel Love" et sa production du magnifique titre des Sparks "Number One Song in Heaven". Son album solo 'E=MC2' a été une grande inspiration et nous a clairement menés vers "Temptation". Tout ce qu’il nous restait à faire, c’était de comprendre comment diable ils avaient réussi à accomplir ça.
Mais on a fini par y arriver et, en y réfléchissant maintenant, il est clair que ces quatre titres ont été un tournant ; pour la Terre entière je ne sais pas, mais pour New Order certainement. Ça nous a ouvert à une façon d’écrire, de composer et d’enregistrer complètement nouvelle – un mélange unique de futurisme SF à la Kraftwerk et d’esprit punk qu’on ne pouvait trouver que chez Factory Records. »
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Pour illustrer tout cela, deux titres marquants de cette période :
Ceremony : originellement écrit par Ian Curtis et brièvement répété par Joy Division, cette chanson, ré-enregistrée par New Order après le suicide de Ian Curtis, sera le premier single sorti par le groupe. Il existe deux versions de cette chanson : la première, enregistrée en mars 81, sonne toujours largement comme du Joy Division, avec guitares et vocals lointains noyés sous le poids de de la basse (la signature sonore du producteur Martin Hannett, aussi appelé le "son Factory"). Dans la seconde (ci-dessous), datée de septembre 81, la guitare revient nettement au premier plan, assurée ici par Gillian Gilbert dont c'est le premier enregistrement avec le groupe.
Temptation : il existe d'innombrables versions de cette chanson (3 principales en réalité, j'y reviendrai), sommet de la période électro new-yorkaise du groupe. Ci-dessous, la version originale (face A du single de 1982).
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