Quelques mots sur "World
in Motion" de New Order, improbable et indispensable hymne de l’Équipe d'Angleterre de football pour la Coupe du Monde 1990 - et très grande chanson.
- L'idée de voir New Order interpréter la chanson officielle de la World Cup 1990 a tout d'un excellent gag de prime abord. Et pourtant. La légende veut
que David Bloomfield, l’attaché de presse de la Fédération anglaise, fan de New
Order et ami de Tony Wilson (le directeur de Factory Records, label de New Order), se serait plaint auprès de lui de la
nullité profonde de toutes les hymnes précédents, invariablement ringards et moqués par toute l'Angleterre. « Why don’t you ask them ? »
aurait répondu très naturellement Wilson, toujours en avance sur son temps, et ayant bien décelé le potentiel situationniste du projet. The rest is history.
- La Coupe du Monde 1990 était organisée en Italie, d'où le magnifique « Arrivederci it’s one on one » (chœurs à la fin).
- D’un point de vue créatif, la seule exigence de la Fédération anglaise était de ne pas faire de cette chanson une apologie du hooliganisme – le phénomène étant au plus haut (la tragédie d’Hillsborough fera 97 morts en avril 89) et pourrissant considérablement l’image du football anglais en Europe. New Order répondra avec des paroles parfaitement appropriées pour tous publics enfants compris (« love’s got the world in motion… »), et ira même encore plus loin dans la défense du pacifisme en refusant de changer « love’s » par « we’s » à la demande de la Fédération. Pas de nationalisme chez Factory, ni de violence.
- La musique de "World in Motion", monument de synth-pop tendance kitsch, provient à la base du thème de fin d’une émission de la BBC (Reportage), composé par le couple Stephen Gilbert / Gillian Gilbert (extrait ci-dessous). New Order a décidé de recycler la chose pour l’occasion, avec l’assistance de Stephen Hague à la production (déjà producteur du single True Faith, et qui participera ensuite à l'album Republic).
- A propos de ce titre Bernard Sumner déclarera : « it’s the last straw for Joy Division’s fans* », marquant bien son indifférence profonde pour les attentes du public. L’écart stylistique avec Unknown Pleasures est assez considérable en effet.
* "Ce sera la goutte d'eau qui fait déborder le vase pour les fans de Joy Division", en VF. Bernard Sumner, Peter Hook et Stephen Morris étaient tous trois membres du groupe Joy Division à la fin de années 70 (guitare, basse et batterie), avec Ian Curtis au chant, qui se suicidera hélas en mai 1980 en pleine ascension vers le succès. New Order est essentiellement la continuation de Joy Division sans Curtis, avec l'ajout de Gillian Gilbert au synthé. Le "son Joy Division", parfois qualifié de "cold wave", est particulièrement sombre et hanté par les névroses de toutes sortes.
- Les mots entendus au début (« well, some of the crowd are on the pitch ») sont ceux du commentateur Kenneth Wolstenholme, officiant à la TV anglaise en 1966 lors de la seule victoire anglaise en Coupe du Monde (contre l’Allemagne de l’Ouest). Ils ont été ré-enregistrés pour l’occasion, pour un samplage plus efficient.
- Bernard Sumner n'étant plus très porté sur le football à l'époque, le groupe a reçu l’aide de Keith Allen pour pondre les paroles et le clip – un comique et acteur anglais assez célèbre alors, et père de la chanteuse Lilly Allen au passage. Résulteront de cette rencontre des lyrics particulièrement profonds et philosophiques : « express yourself, create the space. You know you can win, don't give up the chase… ».
- Keith Allen, toxicomane notoire, proposera comme titre « E for England », allusion assez transparente à l’ecstasy alors omniprésente dans le milieu de la fête et de la musique partout en Europe, et particulièrement à l’Haçienda à Manchester (cf. le meilleur livre à ce sujet). Refus net de la Fédération anglaise. Ils ne pourront rien contre l’euphorie absolue procurée par ce titre en revanche.
- Le titre a été enregistré en deux jours – fait rare pour New Order, plutôt habitué des séances interminables à cette époque. L’équipe d’Angleterre devait participer à l’enregistrement (pour les chœurs), mais finalement seuls six joueurs se sont pointés au studio, et seulement sous la promesse d’une enveloppe de cash (2000 pounds) : ils sont restés une heure, passant l’essentiel du temps à boire et à harceler sexuellement Gillian Gilbert. Paul Gascoigne, génie footballistique mais alcoolique fini, aurait à lui seul englouti 3 bouteilles de Champagne. Le pire dans l’histoire : les chœurs du mix final ne sont même pas d’eux, New Order ayant décidé de les refaire eux-mêmes après ré-écoute (qualité pitoyable). Gary Lineker, star anglaise de l’époque, a lui carrément refusé de venir, voulant promouvoir sa propre chanson ("If we win it all", un bide total).
- Il subsiste tout de même une trace, et laquelle, de la présence de l’équipe d’Angleterre dans les studios ce jour-là : le rap de John Barnes en milieu de morceau, improvisé sur le moment et rentré dans l’histoire du hip-hop international (« Catch me if you can, cause I'm the England man, and what you're looking at, is the master plan »). Les autres joueurs ont aussi été auditionnés pour le rôle, mais se sont révélés catastrophiques sans grande surprise.
- Autre trace dans l’histoire : le fameux « En-ger-land » repris dans les chœurs, calqué sur les chants de supporters anglais ayant alors l’habitude de déformer « England » en trois syllabes pour obtenir un son plus facile à scander en tribune. Proposé par Keith Allen, qui fera rentrer pour la première fois ce néologisme dans la culture mainstream.
Ci-dessous, un extrait du film "How to lose friends and alienate people" (Un Anglais à New-York en VF) où l'excellent Simon Pegg reprend ce chant de très belle façon.
- Le clip, tourné un peu à la va vite avant la Coupe du Monde, est un mélange d’images de match (amical contre le Brésil, 28/03/90) et des 4 membres de New Order + Keith Allen en playback sur un terrain d’entrainement à Liverpool (seul John Barnes était présent ce jour-là). A noter : le barbu en maillot de football à 1:38 n’est pas un joueur de l’équipe d’Angleterre, mais Peter Hook (le bassiste).
- Grand succès populaire, "Word in Motion" deviendra le premier single de New Order numéro 1
dans les charts britanniques (plus de 400 000 singles vendus à date), et
le seul de leur histoire. Leur meilleur classement jusque-là datait de "Blue Monday" (version de 1988, numéro 3),
devant "True Faith" (1987, numéro 4). Ironie de l’histoire, ce sera aussi le
dernier single sorti chez Factory Records, le label mancunien mythique devant couler
financièrement deux ans après, juste avant la sortie de l’album Republic (finalement sorti chez London
Records). La faute à dix ans de gestion financière aléatoire, inconséquente et parfois à la limite de l'abus de bien social (cf. les montagnes de cash gaspillées dans l'Haçienda) et à des choix artistiques assez nébuleux (les Smiths et les Stones Roses, deux groupes phares de Manchester, signeront ailleurs faute d'intérêt de Factory).
- Le succès de cette chanson fut par ailleurs durable, puisque le titre sera ressorti en single pour la World Cup 2002, avec le projet de remplacer John Barnes par David Beckham au rap (une idée lumineuse). La Fédération anglaise mettra malheureusement son veto.
- Bernard Sumner est resplendissant dans ce clip, comme toujours.
Love's got the world in motion, and I know what we can do...
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