Le jour, mais surtout la nuit, Lael Neale aime aller parfois errer quelques heures au hasard des grands cimetières propres et mornes de Los Angeles, notamment
ceux abritant quelques vieilles célébrités illustres et déchues – le Forest Lawn Memorial Parks par
exemple, qui abrite la dernière demeure Elizabeth Taylor et une petite chapelle d’inspiration
écossaise. Là le soir, quand le calme est tombé et les gardiens couchés, elle y brûle des cierges et fait
des incantations dans des langues inconnues accompagnés de quelques notes
d’omnichord, son instrument préféré, le tout en revêtant une longue cape noire en grosse laine informe : alakaerena reba nama, alakarena virami virati..., peut-on entendre des fois, ou d'autres choses approchantes. Elle s'en retourne ensuite chez elle dormir quelques heures.
Ce n’est pas moi qui le dit, c’est elle (en partie du moins).
Star Eaters Delight est donc de cet acabit-là : un album où Lael Neale, folk-singer américaine originaire de Virginie et émigrée à LA depuis quelques années, manie le sacré et l’ésotérique à l’envi, donnant à ces 35 minutes des airs de petite messe new age un peu étrange et vaguement inquiétante, mais sans doute plus étrange qu’inquiétante en fin de compte, quoique… Quelque chose de cet ordre. Pour l’anecdote, Les Mangeurs d’Étoiles (traduction littérale du titre de cet album) est aussi un roman de Romain Gary (1961) évoquant la vie infernale de paysans boliviens condamnés à gober des champignons hallucinogènes toute la journée durant pour supporter leur vie de labeur (métaphore assez apparente). Et bien avec Lael Neale pas besoin de LSD, de MDMA ou du générique associé : sa musique suffit.
Très versée dans les paroles cryptiques et un peu mystérieuses, vous l’aurez compris – « I call home, I call home, I call home… » –, Lael Neale cultive en effet un genre de transe assez particulier, qui tient autant à ses arrangements régulièrement hypnotiques (larges nappes de divers claviers, basse imposante) qu’à sa voix particulièrement fine et perçante, l’installant dans un rôle de prêtresse d’une vieille religion inconnue disparue des lustres – possiblement gaélique ou nordique, clairement archaïque et européenne en tout cas. Une sorte de Lana Del Rey au carré. « In Verona », quatrième piste et longue incantation de 8 minutes à la gloire du mythe de Roméo et Juliette, en est sûrement le meilleur exemple. Il flotte là-dedans comme un air de romance et de suicide collectif.
Tout cela reste fictionnel bien sûr. La preuve, je suis encore là.
Ajoutons à tout ça une réussite plus prosaïque, celle d’un album sachant en réalité varier les plaisirs musicalement malgré une certaine tonalité générale : au contraire de son dernier opus, le plus classiquement folk et poli Acquainted With the Night, Star Eaters Delight a ainsi le mérite de s’aventurer sur des terrains relativement neufs et plutôt intéressants : une sorte de dark-pop un peu Velvetienne d’abord, notamment sur le premier single « I Am The River », construit sur une grosse ligne de basse bourdonnante assez inquiétante mais très entêtante (ainsi que sur l’efficace « Faster Than The Medicine »), et même, encore plus étonnant, une sorte d’actualisation de la pop Motown avec la belle surprise « No Holds Barred », merveille de petite ballade soul électrique à la seventies.
« I surrender » répète-t-elle d’ailleurs inlassablement dans ce dernier titre, comme dans une évocation lointaine du joli et faussement naïf tube de Suicide (1988), parrains déchus de l’électro-punk et de la musique synthétique. Se rendre oui, très bien. Mais après ?
Pas grand-chose, clairement. « I have my sadness and that is sacred » : voilà ce qu’il nous reste selon Mrs. Neale. C’est dit. Femmes-rivières, jeunes vierges éplorées, vieilles filles usées par la vie et le mariage tout droit sorties d’un roman victorien des sœurs Brontë, épouses discrètement éloignées dans une maison de santé pour conjurer un désir adultère brûlant et proscrit, ce sont toutes ces grands drames cinématographiques intimes potentiels contenus dans chacun et chacune que Lael Neale semble ici appeler de ses vœux avec sa voix de crécelle illuminée – cela et l’impossibilité ontologique d’une fin heureuse, ou même d’une simple fin d’ailleurs. Dans l’au-delà tout continuera, et sans doute en pire.
Alors, le jour du grand Jugement, il faudra comme elle le suggère en implorant « se souvenir de la danse, et se souvenir de la magie » ("I Am The River"). Et se ré-écouter Star Eaters Deligt une nouvelle fois, probablement.
Quelques clips (dans l'ordre de parution des singles)
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