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mercredi 19 juillet 2023

Feist : une rétrospective en 15 titres

 

Photo : Goodchild Richardson

Compilation d’un genre nouveau cette semaine : n’ayant en ce moment envie d’écouter – et de faire écouter – que Feist, c’est une petite anthologie personnelle de ma citoyenne canadienne préférée que j’ai décidé de vous infliger. Il est encore temps de fuir.

L’idée, je précise, était originellement d’aboutir à un top 10 de ses meilleurs titres, voire un top 15 (ou 20…), enfin un objet bloguesque assez bien identifié en tout cas, et généralement populaire auprès des lecteurs… Alors, quid du top 3 ? D’accord ou pas d’accord ? Faute de goût majeure ou pas ? Las, je n’y suis pas parvenu : trancher ainsi à la hache dans la discographie de Feist, ça ne me disait pas tellement en réalité. Devant une telle œuvre, je trouve, l’idée de classement est obscène. Oublions.

L’opération, in fine, s’est donc limitée à choisir 15 titres parmi ses 5 albums, que je vais vous présenter dans l’ordre chronologique (et de la tracklist de chaque opus). La playlist complète est aussi disponible sur Spotify. Ça n’est pas très original, mais j’assume.

Mushaboom (Let It Die, 2004)

Du très lourd dès le début, avec la chanson qui a révélé Feist auprès du sacro-saint « grand public ». Un hit de pop indie léger et instantané, et assez indémodable, qui tire son titre d’une petite-ville de Nouvelle-Écosse où Leslie Feist (son nom complet) a passé ses premières années avant de partir vivre plus à l’Ouest dans le Saskatchewan puis à Calgary. Un hymne un peu ironique à l'idée d'une vie simple à la campagne le long d'une vieille route boueuse, « planting lilacs and buttercups » (à planter des lilas et des boutons-d’or). Une certaine aisance à trouver les quelques notes qui restent en tête, d'emblée. Et un album enregistré à Paris pour rappel, où elle vivait à l’époque. Le clip est lui tourné à Prague.


One Evening (Let It Die, 2004)

Hit plus mineur du même album, mais pas moins délicieux. Teintes sonores plus jazzy cette fois pour cette ballade chaloupante contant l’histoire d’une relation doucement éphémère où la voix inimitable de Feist – cristalline et légèrement rugueuse à la fois, semblant toujours sur le point de se briser comme un mur de verre – fait particulièrement mouche. Un clip assez facétieux en prime, avec en guest l’artiste canadien Rich Terfry, plus connu sous le nom de Buck 65. When we started…


I Feel it All (The Reminder, 2007)

L’album de la consécration, vendu à des millions d’exemplaires grâce à un insert publicitaire plutôt réussi (cf. plus bas). Troisième single. Ode ambiguë au chaos, aux sentiments trop pleins qui partent dans tous les sens et aux relations (peut-être ?) perdues d’avance - des thèmes feistiens par excellence, que l'on retrouve avec plaisir tout au long de son œuvre foisonnante. Musicalement, un mélange de petite pop légère et de rock un peu foutraque qui rappelle certains moments de Broken Social Scene (le grand groupe d'indie-rock canadien auquel elle a appartenu), et qu’elle joue d’ailleurs parfois avec eux sur scène dans une version encore plus débridée. Clip simple mais très visuel.


My Moon My Man (The Reminder, 2007)

Une autre histoire de sentiments changeants, inscrite cette fois dans une métaphore très naturaliste et même astrale (les cycles de la lune, changeante comme l'humeur de son homme... Partira ou partira pas ?). Cinq notes de piano tout de suite reconnaissables en guise d’intro et un morceau qui part ensuite de façon inattendue en pop symphonique assez jouissive avec moult cordes et vents à la clé. Extrêmement aisé à chantonner ou siffloter. Le clip sur escalier roulant d’aéroport est un must.


1234 (The Reminder, 2007)

Le grand hit de Feist, presque malgré elle : succès commercial phénoménal après son utilisation dans une publicité pour l’Ipod Nano (un bien bel objet, que l’on regrette). Co-écrite avec l’artiste australienne Sally Setlman qui avait eu l’idée de départ et lui a refilé le bébé. Une histoire d’amour déçu pour le moins classique transcendée par le sens inné du rythme et du refrain de madame – et une bonne dose de « oh oh… » et de claquements de main. Enregistré en région parisienne une fois encore, comme tout l’album The Reminder, aux mythiques Studios La Frette dans le Val d’Oise : une aventure d’ailleurs retracée dans le très bon documentaire « Look At What the Light Did Now » (en accès libre sur Youtube).

Cette chanson a fait l’objet d’innombrables utilisations dans différents films et émissions télévisées, dont la plus célèbre outre-Atlantique est sans doute la version réécrite par Feist herself pour Sesame Street, l’émission culte pour enfants. Frange de compétition pour l’occasion.


The Bad in Each Other (Metals, 2011)

Passage à Metals, album suivant et aussi dissemblant que possible de The Reminder : un opus profondément blues et folk n’ayant plus grand-chose à voir avec les quelques hits pop l’ayant porté au firmament du star system. Une volonté claire de prendre la tangente, bien visible dans le clip de cette chanson d’ailleurs, dont elle est quasiment absente. Une ballade blues à vous coller des frissons pleine de percussions primaires, de violons discordants et de boucles de guitare obsédantes en forme de douloureux présage : « When a good man, and a good woman, can't find the good in each other… ». L'impossible communication des êtres et des sentiments, encore et toujours. Programme annoncé d'entrée, et développé tout au long de l'album.


Graveyard (Metals, 2011)

Même album, même esprit, même orchestration sublime. Une incantation païenne presque primitive, alors adressée à des proches récemment disparus et à la terre et la poussière qui les recouvrent, dont on retrouvera un écho 12 ans plus tard dans son dernier album (Become the Earth, pour son père). « Bring them all back to life » chantonne Leslie faiblement puis en chœurs (ramène-les tous à la vie), et on s’imaginerait presque les voir ressurgir de terre, en effet. Whoa ah ah, ah ha !


How Come You Never Go There (Metals, 2011)

Un blues typique, porté d'entrée par des chœurs façon gospel donnant des allures de prière collective au tout. Un exercice d'exorcisme vain cela dit, portrait d'une relation où les dés sont déjà jetés et les sentiments périmés. Allez chercher l'espoir ailleurs. Régulièrement joué en live dans des versions un poil plus électriques et tout aussi captivantes, permettant au passage d’apprécier  les talents de guitariste de l’intéressée (ICI par exemple), qui n'est pas une guitar hero à proprement parler mais gratte les cordes avec une certaine conviction, et même de l'âme - c'est important aussi. Un retour à la guitare particulièrement jouissif pour celle qui avait du remiser ses envies de guitare à l'époque de Broken Social Scene (déjà trop de guitaristes).


Any Party (Pleasure, 2017)

Extrait de son avant-dernier album, le moins user-friendly et directement accessible probablement – encore que, on n’est pas dans l'électro conceptuelle non plus. Un opus pas si différent du précédent d'ailleurs, avec des tonalités blues toujours assez prédominantes et des compositions encore plus brutes de décoffrage – l’album a été volontairement capté en très peu de prises, dans un esprit le plus "live" possible. Ce qui n’empêche pas la subtilité et la complexité d’émerger cela dit : en témoigne cette chanson au message plutôt simple (« you know i’d leave any party for you…») mais articulé en trois ou quatre parties et autant de flux et de reflux, montées et redescentes de guitares… Une vraie expérience.


Century (Pleasure, 2017)

Le single le plus anti-single de toute sa discographie, sans nul doute. Un titre tout en rythme, contre-rythme et percussions un peu glaçantes qui voit Leslie se projeter dans la vie d’une espèce d’héroïne victorienne à la Jane Austen ou Brontë passant toute la longueur de sa triste vie à attendre le grand héros romantique qui n’est pas encore arrivé…. Jusqu’à la fin du siècle. Le clip, chorégraphie d'une bataille, est dantesque et le final inattendu, et chanté par l’immense Jarvis Cocker (Pulp), qui y apporte sa petite touche de dandy british délabré. Près de 6 minutes au compteur, pour bien s’assurer que le tout soit impassable en radio. But atteint.


Baby Be Simple (Pleasure, 2017)

Immédiatement dans la foulée de "Century", son exact inverse ou presque : une ballade guitare-voix toute dépouillée et dont l’instrument principal, plus que l’instrument à cordes mentionné, est la magnifique et si iconique voix de Leslie Feist, qu’elle module à l’envi pour nous projeter dans autant d’univers mentaux, et implorer encore une fois à l’objet de son affection d’être un peu plus "simple", tout simplement. Les aigus oscillent et montent sans jamais rompre, comme par enchantement. 6 minutes là encore, parce que pourquoi pas.


Hug Of Thunder (Hug Of Thunder, 2017)

Petite entorse au règlement puisque c’est d’un album de Broken Social Scene dont on parle (nommé comme la chanson), mais c’est bien Leslie Feist au chant ici, et au moins en partie à la composition. Un titre envoutant qui met longtemps à décoller, d’abord comme englué dans un rêverie sonore un peu impressionniste – agitée de réverbérations lointaines comme souvent chez BSS – mais parait ensuite s’envoler au-dessus de la stratosphère en l’espace de deux ou trois notes... La foudre. Lyricalement, Feist fonctionne ici par petites vignettes successives, semblant vouloir recréer l’atmosphère d’une adolescence incertaine, pas bien renseignée sur ce qui est important ou ne l’est pas, et surtout « fed up by the hunger supersize we found inside » (dévoré à l’intérieur par une immense faim de quelque chose de plus). Ce genre de collaborations, on valide.


In Lightning (Multitudes, 2023)

Et nous voilà arrivés au dernier album. Avec ce premier single, et premier titre du disque, Feist rompt encore une fois les digues de la pop classique. Chœurs distordus d’entrée, gros tambours assez tribaux, calme puis re-vacarme, nous voici revenus au royaume de Leslie Feist, un monde de hauts et bas mais jamais d’ennui. Une histoire de révélation et de métamorphose personnelle aussi, comme le reste de l’album, conçu entre la mort de son père et l’arrivée de sa fille (adoptée), vécue comme "une incinération" dont on finit par renaître des cendres, dans une version de soi différente mais plus intéressante au final (elle explique ça ICI par exemple). Il y a un peu de tout ça dans ces presque 4 minutes assez mystiques.

A noter que la genèse de cette chanson a fait l'objet d'un mini podcast assez intéressant chez Song Exploder.


The Redwing (Multitudes, 2023)

Une ballade folk nettement plus primaire mais fonctionnant tout aussi bien. Une ode à la réclusion volontaire dans un petit chalet au bord d’un lac de l’Ontario où elle passe désormais ses étés, libérée dit-elle du poids infini de nos vies (« the endless weight of our lives »). Le redwing est un oiseau, qu’elle aperçoit à l’occasion. Cette petite utopie sonore flottait dans l’air depuis un certain temps, puisque l’on peut visionner sur Youtube une version de 2018 encore en gestation, enregistrée au cours d’une répétition avec les Kings of Convenience au People Festival (Berlin). Quelques années de polissage ensuite, et là voilà. Un éloge de la patience et de la contemplation.


Borrow Trouble (Multitudes, 2023)

Retour au bruit pour finir. Un bruit élégamment orchestré bien sûr, et un bruit d’abord intérieur : « borrow trouble », en anglais, c’est se chercher des ennuis inutilement et un peu par mauvais réflexe, ou adopter des comportements toxiques comme l’on dirait peut-être aujourd’hui - ou addictifs Les mauvaises personnes, les mauvaises habitudes, les mauvais moments… Et cetera. Jusqu’à la quasi folie, bien illustrée ici par l’irruption des violons et d’un gros saxophone criard un peu inquiétant. Et les percus qui fracassent, toujours. Et la petite voix faussement naïve de Feist qui fait contraste, encore. Le calme revient parfois, et le folk se ré-installe. Puis disparaît. Montée, descente, flux, reflux. Tout est contenu là-dedans. Le clip ne dit rien d’autre.

 

Et maintenant, il ne vous reste qu'à écouter tous ces beaux albums en entier... J'ai laissé quelques perles de côté heureusement.

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