Pochette de la version ré-éditée |
C’est peu dire que certains l’attendaient : 38 ans après sa première sortie, Tim, le classique des Replacements ressort cette année complètement remasterisé par le producteur Ed Stasium (aux manettes des Ramones et des Talking Heads entre autres), devant ainsi censément effacer les scories et faiblesses techniques du premier mix régulièrement décrié par nombre de fans et le groupe lui-même… Une petite musique assez commune. Joy Division, en son temps, avait détesté le mix de Unknown Pleasures par Martin Hannett. On sait ce qu’il est advenu.
Disons-le d’emblée : cette réédition, personnellement, me semble tout à fait accessoire et même pour tout dire assez nocive. En cause : le son, à l’origine merveilleusement plein de petites imperfections et réverbs volontaires ou involontaires – tout à fait « indie rock » en somme, un genre que les Replacements ont quasiment inventé avec quelques autres au mitan de ces trop sous-estimées années 80 – est ici à la fois alourdi et poli, plus professionnel, propre, et aussi beaucoup plus « rock à papa » en définitive. Tout ce que détestaient les Replacements à l’époque pourtant. Le rock joué dans les stades devant 250 000 spectateurs tous les soirs avec le même cérémonial, la même setlist, les mêmes costumes en cuir, le même solo d’une minute trente… What the point. Sur certains titres, "Waitress in the Sky" et "Kiss Me On The Bus" notamment, si brinquebalants et pop dans leur version d’origine, on ne retrouve particulièrement pas ses bébés… Opinion personnelle bien sûr.
Bref... Il faut bien vendre des disques, surtout à l’ère du streaming. « Re-issue, re-package, re-evaluate the songs, double-pack with a photograph » disait Morrissey (The Smiths - Paint A Vulgar Picture). Pas mieux.
C’est, au moins, l’occasion de parler de ce disque – dans sa version originale donc, sortie en 1985. Un album clé dans la carrière de The Replacements, en forme d’achèvement d’une transition sonore menée dès l’album précédent (Let it Be, autre classique) : adieu progressif au punk plus primaire de leurs débuts à Minneapolis et entrée dans un territoire rock plus incertain entre décharges électriques persistantes et mélodies pop imparables. Ce programme, c’est globalement celui qu’un groupe nommé Nirvana appliquera quelques années plus tard avec davantage de succès. Les Replacements, eux, resteront toujours dans les marges du rock indépendant et des groupes dits « cultes » : arrivés trop tôt peut-être, dans un paysage musical mainstream complètement vampirisé par l’arrivée récente de MTV, et peu désireux ou capables de s’imposer à grande échelle, aussi. Leur tendance à l’auto-sabotage est bien connue (petit exemple en vidéo ci-dessous). REM, arrivé au même instant et globalement dans les mêmes circuits indé, connaîtra d’ailleurs un autre sort.
A écouter un album comme Tim, pourtant, rien n’explique que ce groupe n’ait pas été dix fois plus important. Rien d’arty ici en effet, et aucune inaccessibilité à l’écoute pour le premier venu : tous ces titres, à deux exceptions près (cf. plus bas) sont juste d’excellentes chansons excellement composées par Paul Westerberg – un véritable génie méconnu du songwriting. Catchy et brute à la fois, tant au plan musique que lyrics, son écriture est, derrière un maigre écran de fumée, un appel à la sensibilité et à l’auto-dérision qui dépare alors grandement dans la scène rock de l’époque, plus encline à l’égo-trip. Une des raisons pour laquelle les Mats, comme les appellent leurs fans, seront rapidement des chouchous de quantité d’étudiants US sur les campus universitaires : ils sont comme eux des petits Blancs du Midwest pas très costauds ni populaires comme des quaterbacks de highschool, jamais vraiment à l’aise dans aucun groupe… Des freaks dira-t-on plus tard. "Left of the Dial", un des petits bijoux de ce disque, est d’ailleurs un hommage aux radios universitaires, les premières à avoir diffusé en masse les titres des Mats sur des fréquences parallèles, et qui se trouvaient généralement tout à gauche du récepteur. Il est aussi question d’une fille perdue de vue, que Westerberg cherche en vain sur ces ondes. C’est tout lui.
Autres grands moments : "Hold My Life", hymne à la trouille de grandir qui ouvre l’album, "Kiss Me on the Bus", ravissant de naïveté et de peps pop, "Waitress in the Sky", clin d’œil à la sœur de Westerberg hôtesse de l’air… Et "Bastards of Young" bien sûr, hit évident de l’album qui synthétise tout l’esprit et le son des Mats : une petite bombe punk-rock ultra mélodieuse sur laquelle Westerberg revendique ouvertement l’appartenance à une génération de ratés et de laissés pour compte, de « sons of no one » complètement largués par le rêve américain et les plans de vie de leurs parents. « Dreams unfulfilled, graduated unskilled » résume-t-il. Puis plus loin « income tax deduction, what a hell of a function… » (il était né en janvier, donnant ainsi un avantage fiscal à ses parents, ravis… beau début dans la vie). Tout cela avec la rythmique et les guitares un peu dissonantes, déjà, qui grondent derrière, semblant évoquer en arrière-plan une immense foule de jeunes chômeurs et de pieds nickelés attendant un job ou un espoir quelque part, probablement au comptoir. Un titre que les Mats iront saccager à la TV au Saturday Night Live, devant des millions d’Américains, après s’être saoulés jusqu’à la mort en coulisses pour échapper au stress (cf. plus bas). Ils échapperont à la gloire en prime. La légende reste, et la qualité de leurs disques.
Deux titres un peu plus en dedans en revanche, de l’aveu d’à peu près tous : "Dose of Thunder" et "Lay It Down Clown", deux petites décharges punk-assimilées qui doivent surtout à Bob Stinson, guitariste lead et membre le plus friand de ce genre de plaisirs primaires. Tim est aussi l’album du début de la fin pour lui, ou plutôt de l’éloignement progressif du groupe, dont il était pourtant le premier fondateur – ainsi que le grand frère de Tommy Stinson, bassiste entré dans la bande à 12 ans (!!!). Différences de vues avec Paul Westerberg d’une part, se méfiant de son envie d’injecter de la pop dans leur cocktail, et immenses problèmes psychiatriques et addictifs aussi. Il quittera finalement le groupe quelques mois après, et décédera en 95, à seulement 35 ans. Tim – un nom absurde sans sens particulier imposé par pur esprit de défi – est aussi son chant du cygne.
Dernier chef d’œuvre enfin, en clôture : "Here Comes a Regular". Peut-être, certainement, une des plus belles chansons jamais écrites sur l’alcoolisme et la solitude, et une incursion claire dans le champ de la ballade rock (comme "Sixteeen Blue" dans l’opus précédent). « And everybody wants to be special here… » tremble à moitié Westerberg de sa belle voix cassée si caractéristique, particulièrement saisissante ici. « Well a person can work up a mean thirst, after a hard day of nothin' much at all » dit-il aussi plus tôt. Cet homme savait convoquer des images. Écoutez cela, et tentez de rester insensible… Difficile. « You and I fall together, you and I sleep alone… ». C’est dans le titre précédent, "Little Mascara", et cela nous parle directement également. Les Mats, et c’est là toute la beauté de la chose, ne s’en tirent pas mieux que nous dans la vie. Peut-être même pire.
Ainsi vivaient les Replacements donc, éternels remplaçants et seconds au classement, éternels oubliés parce qu’arrivés trop tard, trop tôt, déjà en ébriété… Avec eux un truc ne collait jamais vraiment. Jamais complètement. Mais quoi ? On ne saurait pas dire.
C’est à ça que ressemblait l’indie rock en 1985, année de ma naissance.
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