Soirée sur courant alternatif hier soir au Trabendo : le
quatuor so indie de Brighton emmené par Dana Margolin débarque pour la
troisième fois de l’année à Paris* et ce n’est pas la fois de trop. Salle complète
depuis quelques jours, et studieuse : en dehors de deux fans anglais so pissed**
("could you just shut the fuck up" finit par leur intimer Dana, impériale) l’ambiance est rock mais plus
que bon enfant. Le punk sans les punks… ou "l’esprit punk sans le côté musical du punk" résume un moment Dana, à propos du dernier show au Centre Pompidou si j’ai bien compris
(pas présent).
Pas punk, pas punk, n’exagérons rien. Durant la grosse heure que nous offre Porridge Radio sur scène nombre d’instants seront
marqués par des guitares assourdissantes et fracassantes, certes plus post-punk
que punk mais quand même… Mentions pour "Anybody" et "Lavender,
Rasberries", deux gros titres de leur remarquable LP sorti cette année (Clouds In The Sky They Will Always Be There For Me), ou le plus
ancien "Born Confused" (2021) avec son "thank you for making me happy!" répété en bouche pendant une bonne minute trente comme un mantra un peu glacé - une spécialité de la dame. Mais avant
cela Dana et sa troupe auront commencé par la fin, avec l’époustouflant "Sick Of The Blues"
qui conclut pourtant leur dernier LP. Un mélange de ballade blues et banger grunge qui résume bien le projet.
Autres contradictions, autres contrastes : le format
du concert, bâti sur une alternance de morceaux « rock » joués à quatre
et de moments solo pour Dana Margolin, centre du dispositif. Difficile d’enflammer
autant la salle avec sa seule guitare évidemment, mais la néo Londonienne (également peintre) s’y essaie et n’est
pas ridicule, alternant là encore entre petites complaintes bluesy et soudaine explosion de fureur. Meilleur exemple sur l'iconique "Birthday Party", où elle passe deux minutes éprouvantes à agiter sa guitare dans tous les sens et implorant « I don't wanna bе loved, I don't wanna be loved, I don't wanna be loved.. » (fois 10). Elle s'y prend mal.
Petite émotion dans la salle, à peine perturbée par les flashs Instagram. Sur l'estrade la lumière est faible
mais l’entoure toujours d'un léger halo... Dana seule en scène. Ses acolytes reviendront ensuite, avec les excellents Dan
Hutchins et Sam Yardley à la guitare et basse (haut à rayures et marcel respectivement,
du plus beau genre), mais hélas pas la claviériste Georgie Stott, retenue à
Brighton pour des soucis perso au dernier moment… Une amie la remplace, pour la
première fois ce soir. Pas facile. Petite fausse note sur le début de "Anybody",
qui doit être repris. Personne ne se plaint, au contraire. Elle sera applaudie.
Petite préférence pour ces efforts collectifs d’ailleurs,
les moments solos de Dana M étant troublants par instants mais prenant
peut-être un peu de place dans l’équilibre général du live… 50/50 à vue de nez je
dirais, ce qui n’est pas forcément le ratio rêvé (avis personnel). A moins que
l’euphorie électrique des titres joués dans l’intervalle proviennent aussi, en
partie, de ce va et vient. C’est un débat***. "Back To the Radio" (2022)
est jouée à la perfection quoi qu’il en soit, toutes guitares dehors mais sans
forcer le trait. « Lock all the windows and SHUT all the doors… » Le tempo
et le son ne font que monter et c'est parfait.
Le gig finira techniquement là-dessus, avant le
rappel obligé : deux solos de Dana M (dont le fameux "Birthday
Party") et "Sweet" pour finir, qui comme son nom ne l’indique
pas finira dans une douce orgie de guitares poussées au max… Porridge Radio
aura joué sur tous les notes ce soir et tant mieux.
* Après un passage au Arte Festival et au centre Pompidou pour un concert spécial.
** Comprendre : bourré.
*** Après vérification, possible que ce format soit juste consécutif à l'absence de Georgie Stott... Réserves de ma part retirées si c'est le cas.
Sans plus attendre, voici les 10 albums que j'ai le plus écoutés/appréciés cette année, dans l'ordre de préférence, mais sans prendre totalement au sérieux cet ordre... C'est l'exercice.
1 / Vampire Weekend - Only God Was Above Us
US / Indie-pop, indie-rock (Columbia)
Numéro 1 clair et net pour moi cette année. 15 ans après leurs débuts le trio new-yorkais emmené par le génial songwriter Ezra Koenig prouve avec ce cinquième LP qu'ils sont bien un des grands groupes de ce début de siècle outre-Atlantique : d'abord assimilés à une jangle-pop de fils à papa agréable mais un peu scolaire (influence Columbia université et Paul Simon) les gendres idéaux de la Big Apple - depuis exilés à LA - n'ont cessé de progresser et d'évoluer depuis et reviennent, 5 ans après un Father of the Bride intéressant mais un peu long et brouillon par moments, avec une petite perle : Only God Was Above Us. C'est tour à tour beau, audacieux, rétro et avant-gardiste, ça rassemble et mélange quantité d'inspirations et ça ne sert de grandir écoute après écoute... Ezra Koenig est un orfèvre, et il sera à l'Adidas Arena le 14 décembre (rendez-vous pris).
L'album le plus court du lot, ce qui n'est peut-être pas pour rien dans cette jolie place : en 27 minutes le duo indie-pop de Toronto s'offre le luxe de ne rien forcer, et d'ainsi savamment polir et re-polir ses 9 morceaux à coup de petits riffs saillants et de délicieuses mélodies vocales. Rien n'excède ou presque les trois minutes ici et tant mieux : les compos de Ducks Ltd. ne sont pas faites pour durer mais pour briller éphémèrement le temps de quelques notes puis s'effacer d'un coup ou presque, n'en gardant qu'un léger sentiment... Une brillance surtout apparente dans la face A, à première vue, rassemblant leurs plus tranchants singles ("Hollowed Out", "Train Full of Gasoline"), mais qu'on apprend aussi à déceler dans la jolie face B au fil des écoutes. "A Girl's Running" et "Heavy Bag" font notamment mouche, en guise de final : "down, down, down..." chantonne alors Tom McGreevy imaginant des inconnus un peu éméchés et déprimés dans un train de banlieue en route pour on ne sait où et l'on resterait bien dans ce train pourtant, avec nos amis canadiens... Que l'on a eus le plaisir d'apercevoir à Paris en mai d'ailleurs, lors du festival Block Party. C'était court et fulgurant, étonnamment.
Prime à la brièveté encore (29 minutes), et à la nouveauté... 2024 n'aura pas forcément été une immense année de découvertes pour moi au rayon albums mais heureusement cette petite merveille est arrivé in extremis en novembre, mentionné par l'excellent podcast US Indiecast (autre recommandation). "Inspiré" par la révélation du cancer de son épouse, Will Kennedy (auteur-compositeur unique derrière le projet 22° Halo) signe ce LP tout en délicatesse et petites touches folk, rock et pop successives, léché, soigné et solitaire comme un disque de Bon Iver première période tout en instillant ici et là de petits riffs électriques plus chauds à laNeil Young, parfaits pour les veillées d'hiver... Une recette très nord-américaine, où la nature et ses petites manifestations quotidiennes sont très présentes (le bruit d'un oiseau à l'aube, les fleurs au printemps...). Accompagné par sa femme (Kate Schneider, cancer survivor heureusement) sur deux des titres dont le magnifique "Bird Sanctuary" en intro, il donne en outre par sa voix tout en retrait, alternant étonnamment le grave (rassurant) et l'un peu chancelant (émouvant), une couleur sonore très particulière à ce disque qui mérite d'être découvert et redécouvert d'ici la fin de l'année. Mention aussi pour l'entêtant "Noise Machine" (piste 3), qui ne dure guère plus de deux minutes mais touche direct au cœur. "It's a good day when nothing happens..." chantonne faiblement Will Kennedy à la fin et en effet, cela suffit parfois.
Titres favoris : "Bird Sanctuary", "Noise Machine", "Ivy", "Lily of the Valley"
Difficile de ne pas classer très haut un album s'ouvrant sur un diptyque aussi fracassant que "Romance" / "Starbuster" (chanson de l'année ?) - respectivement joué en première et dernière position de leur méga gig au Zénith le mois dernier (cf. plus bas). Pour le reste, Romance est le genre d'album qu'on écoute 4 ou 5 fois en quelques jours, juste pour être sûr de bien comprendre si le tout est décevant ou génial. Toujours pas totalement fixé de mon côté, notamment parce que l'irruption du synthé dans l'univers Fontaines Décé m'apparait tantôt enthousiasmante ("In The Modern World", "Sundowner") tantôt plus palote et pas complètement aboutie ("Desire", "Motorcycle Boy")... mais on ne leur reproche pas l'innovation dans ce domaine, au contraire. Fontaines D.C. fait partie de ces groupes qui avancent et c'est bien, d'autant que leur succès fulgurant leur autoriserait désormais toutes les postures, y compris stationnaire. Retour aux valeurs sûres en conclusion tout de même : "Favourite", une ballade pop parfaite suivant le titre le plus classiquement post-punk de tous ("Death Kink"). Bien joué.
Révélée en 2017 avec son super single "Lucky Girl" et un joli album planant la même année (Morningside, du nom d'un quartier d'Auckland) la néo-zélandaise Amelia Murray (de son vrai nom) a mis ensuite près de 5 années à ré-émerger, la faute à une longue période de difficultés psychologiques sur laquelle elle lève aujourd'hui le voile (relation toxique, pression du second album). Maintenant trentenaire et installée à Christchurch (seconde ville de Nouvelle-Zélande, plus calme), Fazerdaze a brisé le moule de sa dream-pop un peu adolescente, très éthérée, et s'affirme depuis 2022 (l'EP Break!, déjà réjouissant) avec des compositions plus remuantes et carrées, plus dérangeantes aussi, parfois secondées par des beats électroniques tout à fait modernes et rétro à la fois. Tout est fait dans son propre studio à présent, où elle a peaufiné cet album empli de reverb' et de petits effets synthé en tout genre, sachant toutefois alterner le plus expérimental et noisy (les excellents "Bigger", tendance shoegaze, et "Distorded Dreams", tendance électro) avec des moments plus méditatifs ("Dancing Years", "A Thousand Years"). Avant de conclure sur un duo de ballades plus classiquement dream-pop, dont le très vaporeux "City Glitter", dernier au-revoir à un homme qui lui a pris trop d'années semble-t-il. Il est heureux qu'elle s'en soit détachée, et revenue à la musique.
Pas
mal de similarités avec l'album de Fazerdaze d'un point de vue
strictement biographique... Produit d'une relation toxique de Dana
Margolin (leadeuse du groupe) ayant tourné à la grosse déprime, voire
plus, cet album a tout du classicisme noir et blanc de sa pochette :
brut et mélancolique, possédé et désespéré, il tourne légèrement le dos
aux quelques envolées plus pop de son excellent prédécesseur (Waterslide, Diving Board, Ladder To The Sky, 2022). Peu d'instants ludiques ici : Clouds est d'emblée, avec le lancinant puis ravageur "Anybody",
un univers clos où Dana Margolin nous conte son enfermement dans un
amour débordant et très mal équilibré, alternant naturellement les
fracas de guitare cathartiques et les ballades très mélancoliques,
limite neurasthéniques (cf. le très aérien "In A Dream I'm Painting").
Le tout monte haut (cf. les favoris plus bas, tous entêtants) puis
redescend tout aussi bas, dans une sorte de bipolarité tonale et
thématique... Amour, haine et aliénation. Blues et punk. Il y a au final
peu de gras là-dedans et c'est bien l'idée, que rien ne respire à l'air
libre trop longtemps. Dana M crie, un peu, chuchote, un peu aussi, et
rien ne semble pouvoir la sortir de cette boucle malsaine comme dans le
coupé en deux "Sleeptalker" où elle chantonne d'abord avec quelques "pam
pam padam" puis monte dans les tours et s'exclame sans trop y croire
(?) "I'm lucky to know you, to you know, to know you..." - motif de
répétition assez typique dans ses compos, et toujours édifiant. On est
là avec elle tout du long, la tête dans les nuages noirs mais pris dans
le cycle. La libération semble intervenir avec l'épique "Sick Of The Blues", conclusion de ce disque, mais le doute persiste... Effet garanti.
Titres favoris : "Anybody", "God Of Everything Else", "Sick Of The Blues"
On reste en Océanie avec les nouveaux rois de l'indie-pop, auteur d'un live déjà légendaire au Trianon en novembre... C'est peu dire que les deux potes de Sydney ont frappé fort dès leurs premiers EPs avec des hits aussi parfaits et délicieux que "Sofa King" ou "Kool Aid", ce dernier méritant déjà une place dans n'importe quel top des années 2020. Pas de suspense pour ce premier LP donc, tirant son nom du bar attenant au studio dans lequel Royel et Otis allaient quelque fois faire le point entre deux enregistrements, voire écrire des lyrics... On aurait aimé y être. La première face de cet EP, de "Adored" à "Velvet" est quasi intouchable : six titres et six hits ou presque, avec à chaque fois des refrains et des riffs qui vous donnent envie de vous lever de votre chaise de bureau et de jeter vos feuilles A4 imprimées pour rien en l'air, la tête allant gaiement de gauche à droite au rythme de la petite voix aiguë si aguicheuse d'Otis Pavlovic, un homme déjà culte. La face B nous offre autre chose : plus variée, plus psyché, plus lente aussi, moins immédiate peut-être. La musique est toujours de qualité mais plus difficile à distinguer de 15 autres groupes d'indie-pop ou rock du moment... L'unique raison pour laquelle cet album figure si bas en définitive : impression qu'on nous a vendu un EP génial accompagné de six faces B honnêtes. Mais peut-être manque-t-on simplement de goût et éclectisme ? Cf. le dernier titre, "Big Ciggie", plus intriguant entre psyché et garage et qui en réjouira peut-être certains. A réévaluer dans quelques années.
Titres favoris : "Fried Rice", "Heading for the Door", "Foam"
Un disque qu'on n'attendait pas forcément, puisque le dernier Camera Obscura datait de plus de 10 ans maintenant (Desire Lines, 2013), le groupe semblant hélas s'être mis en pause prolongée après le décès de sa clavériste Carey Lander en 2015 (cancer aussi...). Reformation inattendue donc, et heureuse : sans être le disque de l'année Look to the East, Look to the West a de quoi ravir les inconditionnels de Tracyanne Campbell (chant) et éternels étudiants en littérature fans d'indie-pop écossaise et galloise (Belle and Sebastian aussi, au hasard). La pop délicate de Camera Obscura n'a pas changé : sage et subtile, toujours mélodieuse, remplie d'influences country et de petits riffs stridents évoquant plus les rives du Mississipi que les briques rouges de Glasgow, s'aventurant même au passage dans d'autres paysages encore plus exotiques ("Baby Huey" et son drôle de petit beat electro-bossa, encore plus adorable en version démo). La charmante voix de Tracyanne Campbell non plus : avec ses airs d'éternelle amoureuse éconduite elle sublime les quelques ballades à sa disposition dans ce LP, dont le très doux "Sugar Almond" ou le joli single "We're Going to Make It in a Man's World" avec sa parfaite petite rengaine finale et ses "ouh ouh..." en chœur si caractéristiques. Il manque sans doute un vrai petit hit comme "French Navy" ou "Lloyd, I'm Ready..." à l'ensemble mais après 10 ans de silence on accepte bien volontiers l'offrande.
Titres favoris : "We're Going to Make It...", "Liberty Print", "Baby Huey"
9 / The Vaccines - Pick-Up Full of Pink Carnations
Angleterre / Indie-pop (Thirty Tigers)
Une autre bonne surprise ! Les anciennes sensations UK de l'année 2011 (What Did You Expect From the Vaccines, petit carton de l'époque) n'avaient pas disparus eux mais il semblait que la qualité de leurs LPs était destinée à s’affadir un peu plus album après album... On n'avait quasiment pas touché à leurs dernières livraisons pour tout dire. De plus en plus bruyant, mainstream, sans idées. Cycle inversé apparemment : sans rien révolutionner (ce n'est pas le concept des Vaccins, beaux gosses des beaux quartiers londoniens avant tout passionnés par le rock des 60's) Justin Young et ses acolytes reviennent ici à la racine carrée de leur succès - mélodies pop accrocheuses et entêtantes sans avoir à se casser la tête, refrains fulgurants et marrants, petite voix criarde et euphorisante dudit Justin Young... C'est simple et fun, à l'image du premier titre "Sometimes, I Swear", bombinette pop à silence soudain puis refrain fracassant qu'on s'est envoyée un bon paquet de fois au premier semestre. Court aussi, le plus souvent, comme le simplissime "Love To Walk Away" (2:07 minutes) qui est lui aussi tout à fait dans l'esprit Vaccines 2011. Et Justin Young au chant, tout simplement ! On l'aime bien ce type avec ses envolées dans les aiguës et ses airs de jeune vieux (cf. ci-dessous sur sa vocation de crooner raté). Welcome back guys.
Titres favoris : "Sometimes, I Swear", "Heartbreak Kid", "Love To Walk Away"
Premier LP d'Erlend Oye (moitié des Kings of Convenience, et génie musical à lui seul) avec ses acolytes siciliens de La Comitiva, cet album éponyme n'est pas exactement une surprise, ni une totale nouveauté : une bonne moitié des titres présents ici étaient déjà sortis au fil de l'eau ces dernières années, au gré des envies et du calendrier chargé du bon géant norvégien installé à Syracuse depuis plus de 10 ans maintenant - et qui continue sa carrière en parallèle avec les Kings, témoin leur splendide Peace or Love sorti en 2022. L'objet fonctionne donc davantage comme une compilation des années italiennes d'Erlend Oye, ce qui n'est pas vilain en soi : les non initiés amateurs de folk nordique joyeuse découvriront ainsi les très jolis "Matrimonio di Ruggiero" et "Upside Down", le second aussi remuant que le premier se fait lancinant, mais tous deux agrémentés de moult cordes et vents en mode fanfare de première année de L3... Car Erlend Oye est un homme profondément bon, et qui aime s'entourer d'amis de toutes sortes, musiciens si possible. Un homme orchestre. A noter aussi le très bel instrumental "Altiplano" qui gagne la palme de la mélancolie estivale, et la plus belle pièce du tout à mon avis : "For the Time Being", une adaptation folk entêtante d'un morceau électro enregistré il y a exactement 20 ans avec un DJ allemand (Phonique), en pleine période berlinoise d'Erlend... Les années ont passé, et l'acoustique remplacé les beats, mais le voyage musical est toujours en cours. Prochaine étape ?
Titres favoris : "Upside Down","For the Time Being", "Altiplano"
Un EP en bonus pour finir : Yannis & The Yaw, c'est le projet né de la rencontre musical entre Yannis Philippakis (frontman des Londoniens de Foals) et la légende de la batterie et de l'afrobeat Tony Allen, en 2016 à Paris. Après une première session d'impro puis d'autres la rencontre finit par faire émerger quelques idées de chansons, mais pas au point d'aboutir à un disque en bonne et due forme hélas (agendas respectifs, Covid... puis mort de Tony Allen en 2020). Des années après Yannis F a décidé de s'y remettre tout de même, et livre cet album composé à partir des fragments laissés en route, mélange de rock et d'afrobeat donc, tendant davantage vers l'un ou l'autre selon les titres (finalement assez proche de Foals pour le puissant "Rain Can't Reach Us", nettement plus afro-friendly pour "Under The Strikes"). Les musiciens recrutés pour l'occasion entre Londres et Lagos - et vus à Paris à l'Alhambra en septembre - sont excellents et donnent au tout une note très organique, et clairement plus aventureuse que l'album rock typique il faut bien l'avouer. Point d'orgue : "Clementine", ultime titre et vrai délice sonore avec son avalanche de petits riffs stridents jaillissant de partout gaiement et sans effort apparent... Et la voix de Yannis F au milieu de ça, captivante comme jamais. Affaire à suivre.
Furie indie-pop hier soir au Trianon : les nouveaux rois
du genre viennent de l’autre bout du monde et répondent au doux nom de Royel
Otis – leurs prénoms respectifs ainsi collés. Phénomène fulgurant : il y a un an de ça les deux potes de
Sydney se produisaient au Supersonic (épique parait-il mais gratuit) mais depuis
le buzz de leurs jeunes et nombreux hits à guitares a tellement contaminé la toile que le duo
saute toutes les classes d’un coup : prévus initialement au Trabendo (700
places), le gig est finalement déplacé au Trianon (1100 places) devant la cohue en
billetterie, et complet depuis des mois… La France est sous le charme.
Comment ne pas l’être ? La recette Royel Otis est simple
en apparence (rengaines pop entêtantes sur guitares carillonnantes) mais perfectionnée
à un degré étonnant pour deux types approchant à peine les 25 ans, et un seul
album long (Pratts & Pain, sorti en début d’année). Conséquence : folie dans la
fosse dès les premières notes et jusqu’à la dernière. Tous les refrains seront
repris en chœur ce soir, dans une joyeuseté un peu sauvage mais totalement bon
enfant… Le public est de fait très jeune, plutôt féminin, un peu épris d’Otis pour certain.e.s et
ne voudrait voir personne d’autre sur Terre semble-t-il. Que les Beatles et Taylor Swift se
rhabillent, leur place est prise.
Premiers cris dès l'entrée en scène donc, avec le traditionnel bond en avant de Royel (Maddell), qui déboule sur l'estrade de façon paradoxale, comme un boulet mais toujours caché (effacé?) derrière ses longs cheveux blonds à la Kurt Cobain ramenés sur le devant tels un mur entre lui et le monde... Souvenirs de grunge. On distinguera à peine ses traits ce soir, à l'exact inverse de son compère Otis (Pavlovic), s'offrant en toute transparence avec ses cheveux courts et sa petite voix angélique... Attitudes divergentes mais accord musical plein et entier cela dit, pas de souci. Les deux composent et font tout ensemble, seulement accompagnés de deux musicos en tournée (batterie et synthé).
Début du live, et premières impressions vaguement mitigées. Si l’intro
nous remplit de plaisir ("Heading for the Door", bijou jangle-pop à guitare mélodieuse et stridente),
la suite immédiate nous laisse un peu indécis, la faute à une balance sonore un
peu trop "rock" peut-être – guitares très fortes, voix d’Otis un peu couverte,
mélodies moins nettes. Le doute se dissipera heureusement. Trop de hits, trop d’énergie,
trop de montées euphoriques partagées avec le public. "Foam" et son refrain né pour être fredonné est le premier signal de
ralliement. « Slow down, and keep my name out your mouth… I could burn
your love to the ground… » La guitare de Royel divague, la voix d’Otis berce,
c’est mélancolique et enjoué à la fois, c’est parfait. Derrière nous la pression
continue de monter, et se diffuse jusqu’aux balcons… Ça chante et ça danse,
comme dans une grande discothèque pop-friendly. Sloooow down... Non, pas ce soir. L'atmosphère est belle à voir, à tel point que Royel et Otis auront droit à une standing ovation avant même
la fin. « Thank you, it’s a dream come true for us... » livre Royel en laissant entrevoir un œil ravi de sa tignasse, presque ému, et ça n'a même pas l'air exagéré. Il faut
dire aussi que les deux ont du annuler la suite de leur tournée
triomphale aux US, la faute à de graves problèmes de famille côté Royel
justement… Tout l’amour du monde était pour lui ce soir.
La fin du set est une longue euphorie donc. "Fried Rice", "Sofa
King", "Oysters In My Pocket", Otis et Royel enchainent les tubes et le parquet
gondole comme jamais, frappé et martelé des pieds par un public XXL qui renvoie l’énergie de la scène au
centuple. Noyé dans tout cela leur reprise épique de "Murder on the dancefloor" (Sophie Ellis-Bextor) passe presque inaperçue… Un sommet parmi d’autres. Otis alterne
entre guitare et micro seul, Royel joue le guitar hero sans en faire trop, tous deux affublés de
leur traditionnel jean baggy et t-shirt rock. Ces gars-là ressemblent à votre
ado skater de 16 ans mais jouent des vétérans de la pop. Que dire d’autre… Le travail compte
évidemment mais la classe naturelle doit jouer un peu aussi.
Combien de « we love you Otis ! » ce soir au fait ?
Quelques-uns. Et Otis est un gentil garçon, alors parfois il répond d’un petit cœur
avec les doigts. C’est con mais mignon.
Fin du set, puis rappel… Votre blogueur préféré, qui
confondait allégrement les titres, pense que la messe est dite en termes de tubes mais n’a
rien compris car reste encore à venir "Kool Aid", peut-être le plus
grand de tous.« But I don't think we can
take much more, but i don't think we can't take much more... »Folie sur ce refrain. Les stroboscopes noient le Trianon dans les flashs de rose, tout est brillant et remuant. Padam padam sur le sol. « You keep us
waiting… » chantonne Otis et c’est un peu vrai, factuellement, mais personne ne lui en
veut. Délivrance totale, collective. C'est la musique. Et avant cela autre moment d’émotion, plus rentrée, avec leur jolie petite reprise de « Linger », ballade culte
des Cranberries. Do you have to, do you have to... Reprise en chœur, bien évidemment.
La soirée s’achèvera sur une standing ovation, la seconde,
et un salut final comme au théâtre. Mérité. Retenez bien ces deux noms :
Royel, Otis.