Photo : Eerie Rose |
Petite sélection des quelques albums qui m'ont particulièrement plu, amusé, étonné ou enchanté cette année, et parfois tout cela à la fois. Quelques mentions honorables figurent aussi à la fin, et une playlist de mes morceaux préférés de tous ces albums.
Toutes mes excuses pour les absents !
1/ Girl Ray – Prestige
La simple idée de m’asseoir et d’écrire 10 lignes sur cet album me donne le sourire… Que dire d’autre ? C’est un bon critère. Et pourtant, je n’avais même pas chroniqué ce disque à l’époque : fainéantise principalement, et peut-être un petit fond de dédain inconscient pour ces trois filles qui font de la petite pop rétro/disco ressemblant furieusement à la moitié du dernier Daft Punk ? Je ne sais pas. Mon cerveau est comme tous les autres, déficient et décevant.
Plus de doute possible aujourd’hui : ce disque est une petite merveille, period. Conçu comme un hommage à la scène disco queer des eighties, véritable machine à danser et aligner les riffs et beats qui tuent, infusé de funk jusqu’à la moelle (Chic évidemment), Prestige est tout cela mais se passe en réalité d’explications dès la première seconde : c’est alors hit, hit et encore hit. Jouissif. Les intros claquent, les refrains donnent envie de fondre ou de partir en battle de danse, c’est selon, les chœurs sont toujours au bon moment… Exécution idéale. La basse et les drums sont vertigineux, toujours là à nous ramener sur la piste quand la lassitude point une seconde. Rien à faire avec ce disque : tout est plaisir, rythme et joie de sentir son corps.
C’est d’ailleurs le thème de l’album : le plaisir de la fête, de la soirée, les désirs qui se croisent dans le noir sous les boules à facettes et qui parfois s’accordent, ou pas. « Everybody’s saying that you could have done better, but I really wanna end up with you... » chantonne Poppy Hankin un peu tristement dans "Everybody's Saying That" et c’est magnifique. Très grande chanson, très funky, très Chic. "Up" est aussi une petit folie. "Tell Me" un instant d'euphorie. "Hold Tight", une petite confiserie qu’on garderait avec soi dans la poche toute la journée en attendant de la déguster tranquillement chez soi le soir, seul sur le balcon face au coucher de soleil. "True Love" : se reporter au titre. Il y en a d’autres.
Et puis quand vient la fin, une nouvelle découverte improbable : "Give Me Your Love", un truc électro-pop sans rapport évident avec ce qui précède mais qui décolle encore à des hauteurs étonnantes. Après une intro charmante et déjà entêtante le vocoder arrive et la boîte à rythme se déchaine et là ça y est, on est vraiment dans du Daft Punk meilleur cru… « Give me your love, love, love… » nous dit la machine. Que demander de mieux ? Cette année il n’y avait pas.
Chansons préférées : "Tell Me", "Up", "Hold Tight", "Give Me Your Love"
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2/ Feist - Multitudes
Difficile de mettre la patronne plus bas... Numéro 2 est déjà quasiment une offense. Leslie Feist, de son état civil complet, met en moyenne 5 ans à nous sortir un nouveau disque, et à peu près tout ce qu'elle a dedans. Ces dernières années elle a perdu son père (le peintre canadien Harold Feist, cf. le titre "Become The Earth") et adopté une fille (Tihui, cf. "Forever Before") : toute la symétrie étrange de ces émotions contraires se retrouve évidemment dans le disque, maelstrom de styles et de formes sonores, alternant comme toujours brillamment petits moments folk et éclats soudains - "In Lightning", le premier titre, en est la parfaite illustration, contenant toutes ces multitudes à la fois. Beaucoup d'intime, beaucoup de petites inventions, beaucoup de frissons : Leslie Feist est une grande dame, et son œuvre en construction un petit bijou multicolore et multiforme. Respect.
Chansons préférées : "Hiding Out In The Open", "The Redwing", "Borrow Trouble", "Love Who We Are Meant To"
Lire la critique complète publiée en avril dernier
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3/ Lael Neale - Star Eaters Delight
Pas mal d'hésitation pour la dernière place du podium, mais prime à l'effet de surprise : Lael Neale avait déjà deux albums au compteur mais celui-là est d'un autre acabit, peut-être en partie grâce à l'arrivée du producteur Guy Blakeslee en salle des machines. Dans Star Eaters Delight Mrs. Neale passe un cap conséquent et installe méticuleusement un personnage et un univers uniques, semblant tous deux sortis d'un vieux conte anglais victorien : femmes fières, seules, énamourées puis abandonnées, fidélité éternelle puis au tombeau, visions, palpitations métaphysiques, il y a un peu de tout ça dans cet opus tirant autant vers le mystique que le sensuel, bien orchestré par quelques surgissements de basse et d'omnichord, l'étrange simili-synthé dont elle fait usage depuis des années. Sa voix de crécelle, semblant émerger d'une petite chapelle perdue dans la nuit, aide un peu aussi. Une vraie expérience.
Chansons préférées : "I Am The River", "Faster Than the Medicine", "No Holds Barred", "Lead Me Blind"
Lire la critique complète publiée en avril dernier
Lire aussi la chronique de son live à la Boule Noire
4/ Nation of Language - Strange Disciple
Un autre troisième album, un autre sommet : avec Strange Disciple, les trois hispters brooklynois de NOL confirment qu'ils sont sans doute le meilleur groupe new wave / synth-pop de ces dernières années et une sacrée machine à produire des tubes aussi dansants que brumeux - une manière de tirer vers la "dark synth-pop", un genre que revendique ouvertement la claviériste Aidan Noell en solo. Comme souvent avec les grands groupes de new-wave, c'est l'alliance d'une basse métronome et un peu inquiétante et de grandes nappes de synthé aériennes qui génère le sentiment de lyrique ici, ainsi que le chant toujours poignant de Ian Devaney, aussi vibrant en studio que sur scène. Et côté lyrics, NOL ne détestent pas quelques petites allusions mystiques eux aussi - avec le bon beat qu'il faut pour nous ramener ensuite sur Terre, et bien sur terre... à hauteur de dancefloor. "Just a reminder, I'm in love..." se lamente Ian Devaney en intro. Nous aussi maintenant.
Chansons préférées :"Weak In Your Light", "Too Much, Enough", "Sightseer", "A New Goodbye"
Lire aussi la chronique de leur live au Trabendo
5/ Everything But The Girl - Fuse
C'est peu dire que personne ne s'attendait à un nouvel album d'Everything But the Girl cette année - le dernier album du duo Tracey Thorn / Ben Wyatt remontant tout de même au siècle dernier... (1999). Et pourtant si. Le Covid est passé par là, ainsi que les gros soucis de santé de Ben Watt (les deux sont mariés) : Fuse est le produit de cette période difficile et de la renaissance venant après, d'abord péniblement puis sûrement. D'abord ressortir dans la rue, puis composer quelques notes, réserver un studio... Chacun sa méthode. Le résultat est un album qui reprend étonnamment le fil de Temperamental 24 ans après, preuve que la musique comme d'autres choses est essentiellement une boucle : l'électro-pop un peu atmosphérique matinée de drum and bass comme la pratiquait alors EBTG était à la mode, elle est partie, revenue, partie, revenue... Un quart de siècle plus tard Tracey Thorn a toujours cette voix si fragile en apparence, et les tempos sont toujours lents, parfois très lents, mais obsédants. What is left to lose, nothing left to lose... Les bonnes recettes ne périment pas.
Chansons préférées : "Nothing Left to Lose", "Caution To The Wind", "Time and Time Again", "No One Knows We're Dancing"
6/ Bar Italia - Tracey Denim
Difficile
de parler de Bar Italia sans évoquer toute la hype et le mystère
entourant ce groupe londonien encore ultra-confidentiel il y a peu depuis sa
signature chez les cadors de Matador - jusqu'à leur propre nom, emprunté à une chanson de Pulp et/ou à un bar plus ou moins emblématique de Soho... (les avis divergent). Essayons quand même ! De leurs deux
albums sortis cette année (!!) Tracey Denim est sans conteste le plus
abouti et le plus ambitieux, capable d'un peu tout musicalement des
petites bombinettes garage/punk/pop (l'excellent "Punkt" justement, sorti en premier single, ou "F.O.B") aux ballades rock un peu sombres mais imparables, juste rehaussées d'une légère odeur garage. Les trois compères de Bar Italia ont
apparemment bien bossé leurs sons et leurs chansons en cachette avant de rentrer dans le grand monde et ça s'entend. Plaisir également d'écouter Nina Cristante, Sam Fenton et Jezmi Fehmi se renvoyer régulièrement la balle vocalement, créant une sorte de dialogue permanent entr'esprits et styles musicaux. Et à la basse il se passe des choses intéressantes... Bref, don't believe the hype but listen
! Vrai bon album.
Chansons préférées : "Punkt", "Missus Morality", "Changer", "Best in Show"
7/ Tennis - Pollen
Lentement mais irrémédiablement Tennis affine sa petite recette, album après album : indie-pop flottante enrobée de petites touches de funk, disco, soul et de tout ce qui concourt à faire sourire et (un peu) bouger. En cela Pollen n'est pas une révolution par rapport au déjà savoureux Dreamer (2020) mais une simple progression logique, opérée en grande douceur : "Pollen Song", abandonnée là en milieu d'opus, incarne à elle seule ce mouvement presque insensible. Indolent. "But all I can think of is the pollen, fucking me up..." nous murmure ici Alaina Moore, et c'est infiniment réconfortant. Indispensable pour les longues soirées d'hiver.
Chansons préférées : "Let's Make a Mistake Tonight", "Pollen Song", "Hotel Valet", "Pillow For a Cloud"
8/ Bdrmm - I Don't Know
Les Nord-Anglais de Bdrmm (prononcer "Bedroom") ne cèdent à aucune facilité dans ce second album très attendu : tour à tour atmosphérique et étouffante, oscillant toujours entre dream-pop, shoegaze et d'autres qualificatifs à définir, leur musique ne ressemble pas à grand-chose d'existant sur le marché. C'est autre chose en live, où l'énergie est là, bien là, mais ici pas d’esbroufe ou de guitare portée : attaqué avec 2 minutes 30 d'instrumental I Don't Know se clôture sur le même mode 40 minutes après, le temps d'un voyage étrange et un peu onirique et de quelques brèves attaques sonores bien tranchantes ("Pulling Stitches", hommage avoué à My Bloody Valentine). Different class.
Chansons préférées : "Alps", "Be Careful", "It's Just A Bit Of Blood", "Pulling Stitches"
Lire aussi la chronique de leur live au Point Éphémère
9/ Bully - Lucky For You
L'album
à écouter si vous aimez la power/grunge-pop américaine ultra-efficace
des années 90 et d'ensuite - les Breeders, Hole, Sleater-Kinney, etc.
Bully (ou Alicia Bognanno de son vrai nom) chante fort, très fort, et signe là après 10 ans de
carrière le petit concentré de fureur pop et punk qu'elle méditait sans
doute depuis tout ce temps : lucky for her, lucky for us. C'est
logiquement court (31 minutes) mais rempli de déclarations sonores et
lyricales très claires sur sa santé mentale et celle de l'Amérique (plus de détails plus bas). "Hard To Love", notamment, est une petite comptine punk parfaite. En prime : un duo avec l'excellente Soccer Mommy.
Chansons préférées : "Days Move Slow", "Hard To Love", "Change Your Mind", "All This Noise"
Lire la chronique complète publiée en juin
10/ Grian Chatten - Chaos For The Fly
Ça ne fait que 5 ans que Grian Chatten - leader du quatuor irlandais Fontaines D.C. - a débarqué dans nos vies (album Dogrel, 2019) mais l'homme semble trainer déjà une bonne décennie et demie de carrière derrière lui... A savoir : 3 albums de Fontaines D.C. en 4 ans, quantité de tournées et d'apparitions médias de toutes sortes, et ce premier opus en solo dès maintenant donc, soit 9 titres composés à l'origine pour sa bande mais devenus rapidement un projet plus personnel. Signature sonore à l'appui : peu de grosses rythmiques électriques ici mais moult guitares sèches, violons et petites touches folk rapprochant le sieur Chatten de ses racines celtiques. Une métamorphose en crooner étonnamment aisée : l'homme a du coffre, une belle voix grave et des textes touchants à la pelle - et sort d'un sévère burn-out professionnel semble-t-il. Trop de monde vu et parcouru, trop de gens, trop de faux-semblants. Le très beau "All Of The People" en milieu de disque résume tout.
Chansons préférées : "Fairflies", "Bob's Casino", "All Of The People", "I Am So Far"
Bonus : Ian Sweet - Sucker
Oui, je m'autorise un petit hors-classement car cet album contient beaucoup trop de titres jouissifs, dont le mal nommé "Sucker" qui est une véritable merveille pop à (très) grosses guitares, et sans aucun doute une de mes chansons favorites de l'année... Beaucoup d'autres ballades pop-rock plus classiques mais tout aussi bien fichues parsèment ce disque d'une grande efficacité, et même une tentative de pop hit à la Olivia Rodrigo ("Your Spit"). A écouter dans le métro.
Chansons préférées : "Bloody Knees", "Smoking Again", "Sucker", "Your Spit", "FIGHT".
Et aussi, dans les mentions honorables...
Belle & Sebastian (Late Developers), Blondshell (Blondshell), Bleach Lab (Lost in a Rush of Emptiness), Drop Nineteens (Hard Light), Dutch Uncles (In Salvia), Fauves (Favorite Shade), Erlend Øye (Winter Companion), Fenne Lily (Big Picture), Hannah Jadagu (Aperture), Jenny Lewis (Joy'All), La Battue (Five to Nine), Mustard Service (Variety Pack), Nabihah Iqbal (Dreamer), Teenage Fanclub (Nothing Lasts Forever), Peg (Sideshows), Unknown Mortal Orchestra (V), Wilco (Cousin),
Et quelques EP mais j'en oublie sûrement : Fazerdaze (Break!), Oslo Twins (Back to Nothing), Soccer Mommy (Karaoke Night), The Youth Play (Wildflowers).
Extraits (cliquez dessus pour accéder à l'intégralité)
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